Quand les constructeurs généralistes pètent les plombs
Quelques spécialistes de la voiture populaires se sont aventurés dans le grand luxe, en rencontrant le plus souvent l’échec. Pourtant, les autos exceptionnelles qu’ils ont mises sur le marché sont souvent très intéressantes !
Parfois, le miracle arrive. Ou du moins le croit-on. Un spécialiste de la voiture populaire craque et met un pneu dans l’univers de l’exception. Il espère ainsi non pas réaliser des ventes consistantes mais tout du moins améliorer son image de marque et augmenter ses profits car les modèles très chers bénéficient de plus grosses marges. Si la manœuvre peut aisément se révéler fructueuse aux USA, elle demeure bien plus périlleuse en Europe.
Pourquoi ? Parce que l’image de marque y est bien plus prépondérante. Ainsi, Chevrolet et Ford peuvent lancer des autos un peu élitistes, comme les Corvette et Thunderbird, respectivement en 1953 et 1954, puis se frotter les mains à la vue de ventes fructueuses (même si ça a pris un peu de temps pour la première). Sur le Vieux Continent, les mentalités plus figées ne permettent que difficilement ce genre de grand écart.
Toutefois, l’opération n’est pas impossible. Exemple avec Citroën, qui a défié les coupés BMW, Jaguar, Mercedes ou Porsche sa SM en 1970. Ultra-moderne par sa ligne et sa technologie, dotée d’un moteur prestigieux et capable de prouesses dynamiques, elle a initialement connu un certain succès malgré son prix élevé. En effet, plus de 5 000 ont été vendues en 1971, première année pleine de commercialisation. C’est plus, par exemple, que pour sa concurrence bavaroise BMW 2.8 CS. Mais sa fiabilité défaillante, le réseau réticent, la crise du pétrole et le désintérêt de Peugeot, qui rachète Citroën en 1974, auront raison d’elle.
A la même époque, le spécialiste européen de la voiture populaire, Fiat, s’autorise plusieurs incursions dans l’auto d’exception. D’abord avec la Dino, en 1967, dont la raison d’être était toutefois de permettre à Ferrari de produire en nombre suffisamment important pour être homologué en course son petit V6 à 4 arbres à cames en tête. En effet, ce moteur exceptionnel équipe la Fiat, vouée à être vendue en nombres plus grands que ceux des belles de Maranello. Ce qu’elle réussira, remplissant ainsi son contrat, 7 651 étant écoulées jusqu’en 1972.
En revanche, il en va tout autrement de celle que le géant de Turin destine à concurrencer les grandes Mercedes : la 130. Lancée en 1969, cette berline de luxe vise beaucoup plus haut que la 2300 à laquelle elle succède et bénéficie de nombreux égards : carrosserie, coque, suspension et moteur V6 2,8 l lui sont totalement spécifiques.
Hélas, trop chère, trop timorée par sa ligne et affublée d’un tableau de bord indigne, elle laisse la clientèle indifférente. Fiat tente de redresser la barre en 1971 en en déclinant un coupé. Dessiné chez Pininfarina, celui-ci est d’une élégance saisissante. Mieux, son moteur gagne en cylindrée comme en puissance et sa planche de de bord est redessinée, mais rien n’y fait. Le prix reste bien trop élevé en regard de l’image de marque (56 300 F, soit 63 000 € actuels selon l’Insee), et l’auto, pourtant réussie, est un échec.
15 093 berlines seront produites (contre 20 000 prévues annuellement) et 4 491 coupés jusqu’en 1977. Jamais remplacée et vite oubliée, la 130 ne profitera même pas à l’image de Fiat, alors que c’était le souhait du grand patron Gianni Agnelli.
En 1964, un autre spécialiste de la voiture populaire, Opel, se dote de modèles prestigieux défiant les Mercedes. Ou plutôt d’une triplette de grandes berlines, les KAD, pour Kapitän, Admiral et Diplomat. Chacune correspondant à un niveau de gamme, c’est la Diplomat qui trône au sommet de la pyramide. Au contraire de ses sœurs, également disponibles en 6-cylindres, cette dernière n’existe qu’en V8, un small block Chevrolet de 4,6 l offrant 190 ch tout de même !
Mieux, en 1966 ce moteur passe à 5,4 l et 230 ch, propulsant l’Opel au-delà des 200 km/h, une allure alors exceptionnelle pour une auto de près de 5 m ! Malgré leurs prix plutôt élevés, les KAD se vendent bien : près de 90 000 seront écoulées jusqu’en 1968. Une réussite vu leur technologie plutôt basique, l’essieu arrière rigide se suspendant sur des lames… Cela dit, la Diplomat, plus onéreuse, ne dépasse pas 8 848 unités, dont 330 en 5,4 l.
Mais Opel est allé plus haut en gamme encore avec la Diplomat Coupé, révélée en 1965. Doté du V8 5,4 l, elle était fabriquée chez Karmann, mais son prix prohibitif (supérieur à celui d’une Mercedes Pagode) a compromis son succès. 304 exemplaires seront écoulés jusqu’en 1967 : jamais plus Opel n’ira si près du firmament automobile.
En 1968, les KAD sont renouvelées, et bénéficient alors d’un essieu de Dion bien plus raffiné que le précédent pont rigide. Le 6-cylindres 2,8 l peut aussi bénéficier d’une injection (165 ch), et la carrosserie, entièrement redessinée dans un style moins américain, bénéficie d’un zingage partiel.
La Diplomat conserve le V8 5,4 l qu’elle attèle désormais à une boîte à 3 rapports contre 2 précédemment. Une version longue est même proposée dès 1973. 61 569 unités de ces KAD seront produites jusqu’en 1977. Les Senator et Monza qui succèderont, moins ambitieuses, dériveront de la Rekord, berline de très grande série...
En 1978, Renault jette des étoiles dans les yeux du public au salon de Paris. Avec sa monstrueuse 5 Turbo, alors un concept à la carrosserie spectaculaire cachant un moteur central turbocompressé. Du jamais-vu dans la catégorie ! Boosté à 160 ch, son petit 4-cylindres Cléon Fonte assure de belles performances et, divine surprise, la version finale de la R5 Turbo apparaît en 1980. Ne différant que très peu du proto de 1978, elle arbore un incroyable tableau de bord dû à Marcello Gandini et se signale par des couleurs flashys.
La raison d’être de cette sportive est de se montrer compétitive en rallye, et dès 1981, Jean Ragnotti remporte le Monte-Carlo à ses commandes. Seulement, celles-ci demeurent limitées quand il s’agit de celles passées en concession par la clientèle. Le prix énorme dissuade les acheteurs : 115 000 F (56 300 € actuels selon l’Insee), soit cinq Renault 4 ! Dommage, car la Renault est rapide (200 km/h) et surtout très efficace pour qui comprend son comportement routier. La Turbo 2 dévoilée en 1982 réduit le tarif, mais le succès n’est pas au rendez-vous, du moins en réseau. 4 857 unités trouveront preneur jusqu’en 1985 ce qui n’est pas si infâmant.
Ferrari. Quelle marque peut se vanter de susciter autant le rêve ? Aucune, mais il est un généraliste qui a tenté de concurrencer le mythe italien : Honda. Dans les années 80, le japonais s’engage avec succès en Formule 1, en fournissant ses moteurs à l’écurie McLaren. En piste, celles-ci terrassent les Ferrari, alors pourquoi ne pas faire de même sur route ? Alors on décide de concevoir une supercar, sans verser dans la demi-mesure. Cela débouche en 1989 sur la superbe NSX, dessinée avec l'aide de Pininfarina et mise au point par un certain Ayrton Senna. Parmi les plus grands noms dans leurs domaines respectifs !
Dotée d’une coque en aluminium ultramoderne et d’un V6 VTEC qui ne l’est pas moins, avec ses bielles en titane. Ce 3,0 l atmo offre 274 ch, mais plus que par ses performances, la NSX donne une leçon aux Ferrari, Lamborghini et Porsche par son comportement routier exceptionnel. Excusez du peu ! L’ingénieur Gordon Murray s’en servira même comme benchmark pour la McLaren F1. De plus, la Honda profite d’une qualité de fabrication et d’une fiabilité remarquables. Mais le prix est à la hauteur de ses ambitions : 525 000 F en 1991, soit 136 000 € actuels selon l’Insee. Conséquence, la NSX demeurera relativement confidentielle commercialement, s’écoulant à 15 000 unités jusqu’en 2005. Mais son aura fera énormément pour l’image de Honda !
La suite la semaine prochaine !
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