Nous sommes de drôles d'oiseaux...
Un tiers des oiseaux des champs ont disparu ces quinze dernières années vient d'avertir le CNRS, et le phénomène s'est accéléré ces deux dernières années. Effroi dans les médias, stupeur aux comptoirs. Pourtant, depuis longtemps il suffisait d'observer nos pare-brise pour savoir que l'extinction était en marche.
En 2006 ou 2007, j'avais consacré un éditorial du mensuel Auto Moto à un étrange fait dont je venais de prendre conscience : depuis quelque temps, nos pare-brise ne se salissaient quasiment plus en été.
Quelques années plus tôt, dix au plus, on ne pouvait aligner deux cent kilomètres d'autoroute dans la moitié Nord de la France, entre mai et septembre sans avoir à récurer son pare-brise. Le lave-glace était impuissant face à la nuée. Dès mai ou juin et jusqu'aux premiers froids, les faces de nos voitures étaient crépies d'insectes et dans Auto Plus, le journaliste Rémy Bricol-Tout conseillait de coller du film translucide autour de la calandre et sur le bout du capot pour réduire cette salissure qui attaquait le vernis et la peinture. Je me souviens aussi des séances de nettoyage du blouson de moto, tapissé d'impacts après chaque voyage. De l'écran du casque qu'il fallait laver à chaque plein d'essence. Aujourd'hui, il faut que je roule au fin fond du Limousin ou autre terre d'élevage pour retrouver ces gestes.
Les insectes disparaissaient et personne ne semblait s'en alarmer : j'avais fait une recherche : rien dans la presse d'alors, ni sur Google.
Les oiseaux, forcément, allaient suivre et sans doute leur nombre déjà décroissait. En y repensant aujourd'hui, au mitan des années 2000, on ne voyait déjà plus guère d'hirondelles, ces oiseaux qui se nourrissent d'insectes volants.
Des pies et des moustiques...
Mon fils de onze ans, qui ne sait pas à quoi ressemble le chant de l'alouette ou un nuage d'étourneaux, a du mal à croire que dans les années 90, on hésitait à manger dehors par crainte d'être assailli de mouches, moucherons, guêpes et abeilles. Ma fille de huit ans s'émerveille d'un papillon blanc et je ne suis pas certain qu'elle en ait vu de plus coloré autrement qu'en photo. Et ce n'est pas faute de les emmener à la campagne. Hannetons, abeilles coccinelles, libellules, taons, tout s'est fait rare sans que l'on n'y trouve rien à redire. Les populations d'insectes volants auraient diminué de 80 % entre 1995 et 2017 en Europe et c'est maintenant, quand les oiseaux se taisent, qu'on l'apprend. Et les vers de terre, autre nourriture essentielle de certaines espèces, ont pratiquement disparu des grandes plaines agricoles, stérilisées par les pulvérisateurs et compactées par les machines.
La fin des bourdonnements annonçait celle des gazouillis. Fallait-il être ornithologue pour le savoir ?
Ne restera-t-il bientôt que des mouches et des moustiques, des pies et des corbeaux ?
L'agriculture raisonnée ? Avec des gants et un masque
Il y a douze ans, mon éditorial "Pourquoi votre pare-brise est propre" m'avait valu des courriers indignés ou insultants d'agriculteurs. Comment osais-je les accuser ? Quelle preuve avais-je d'un lien de cause à effet entre agriculture intensive et raréfaction des insectes ? Et de quoi me mêlais-je ?
Plus récemment, l'un d'entre eux m'a fourni une bien meilleure explication à la propreté de nos pare-brise : c'était, m'expliquait-il, dû aux progrès de l'aérodynamique, leur inclinaison était plus prononcée qu'avant.
La chimie dans les champs ? Cela fait trente ans au moins que j'entends les agriculteurs répéter que l'on en met de moins en moins, pas fou, vu ce que ça coûte. La FNSEA, le grand syndicat agricole a même inventé un terme pour décrire cette pratique prétendument responsable et respectueuse de l'environnement : l'agriculture raisonnée. Je peux vous affirmer qu'elle ne s'exerce pas sans masque, gant et combinaison étanche et qu'elle ne menace pas de ruine les fabricants de pesticides.
Aujourd'hui, on en sait un peu plus sur l'origine de la disparition concomitante des insectes et des oiseaux. La généralisation des néonicotinoïdes et autres produits phytosanitaires dont on asperge les champs et enduit les semences n'est pas seule en cause. Il y a aussi les haies que l'on continue d'arracher ou d'araser, la fin des jachères que l'Europe a cessé d'imposer, la flambée des amendements au nitrate pour produire toujours plus de blé dont les cours ont flambé.
Bref, on sait mais, dommage, il est peut-être trop tard.
Je ne vous décris pas cela pour relativiser la gravité de la pollution automobile, mais au contraire pour faire un parallèle avec elle.
Disparition des oiseaux et pollution automobile
De même que l'on pouvait prédire qu'épandre de l'insecticide ferait disparaître les insectes et que cette disparition entraînerait celle des oiseaux, on peut imaginer qu'augmenter le nombre de particules fines et ultra-fines dans l'air des villes peut avoir des conséquences néfastes pour la santé humaine.
Or que lit-on, qu'entend-on ? Que nos voitures neuves polluent de moins en moins grâce aux normes Euro. Ou encore que la pollution diminue à Paris, Anne Hidalgo l'affirmait encore à Noël à un journaliste du Parisien.
Pardon, mais c'est rigoureusement faux : les NOx ne diminuent qu'à la marge et les particules ne sont réduites qu'en masse, conséquemment à la réduction de leur taille. Depuis que l'on ne se contente plus de les "peser" mais qu'on les dénombre et les calibre, on sait qu'en réalité, la situation empire. Mais on ne le crie pas sur les toits.
Nous sommes de drôles d'oiseaux...
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