La beauté des laides - Lancia Trevi : une ligne ringarde, mais un intérieur révolutionnaire
Pour satisfaire ses clients, effrayés par la Beta à deux volumes de 1972, Lancia lance en 1979 la Trevi à trois volumes issue du même moule. Mais elle n'aura pas plus de succès que sa grande sœur. La faute à une ligne mal proportionnée et à une planche de bord célébrée par le milieu du design, mais pas vraiment par les clients de la marque italienne.
La clientèle Lancia de ces années soixante-dix ne serait-elle pas du genre conservateur, voire un brin réactionnaire ? Toujours est-il qu’elle délaisse la Lancia Beta commercialisée en 1972. Voilà pourtant une auto dans l’air du temps, lorgnant sur les lignes modernes, à deux volumes, des autos françaises de l'époque, les Renault 16 et surtout les Citroën GS et la CX, alors en gestation. Cette Beta, les fans de Lancia n’en veulent pas. Il leur faut une berline traditionnelle, avec un coffre plat et non pas affublée d'un hayon. Ils souhaitent une auto à papa ? Lancia la leur livrera, en 1979. Cette Beta tricorps s'appelle Trevi, et non seulement elle sera boudée elle aussi, mais on moquera son intérieur pendant des décennies.
Lorsque la Beta paraît au salon de Turin 1972, le public fait la moue, et quand la berline est commercialisée, il ne se précipite pas. Surprise, la direction de Lancia fait réaliser un sondage quelque temps plus tard et constate que 50 % de ses fidèles clients rejettent la ligne de l'engin et son hayon qui n'en est pas un, puisque la malle s'ouvre comme un coffre traditionnel. Quant à l’autre moitié des sondés, elle est totalement indifférente à ce nouveau style, mais le bouche-à-oreille a déjà fait son œuvre : l'auto aurait une propension effrayante à rouiller et sa qualité d’assemblage serait plus qu’approximative. Pour une adhésion massive, on repassera. Alors, chez le constructeur de Turin, entré dans le giron de Fiat depuis 1968, on se hâte de remédier à cette présumée faute de goût. Mais on se dépêche sans précipitation. Il faudra même 7 ans pour corriger le tir et créer la Trevi.
Sept ans de réflexion
Sept longues années pour réaliser une carrosserie sur une base existante paraissent une éternité. Mais la ligne de la Beta n’est pas la seule chose à être modifiée. L’usine de Chivasso près de Turin, où l’engin est (mal) assemblé, s’emploie à se mettre au goût du jour en matière de normes de qualité et le bureau de style Pininfarina, quant à lui, est sollicité pour pondre un dessin capable de satisfaire la clientèle un peu rétrograde de Lancia. Libre à lui de créer la ligne qu'il souhaite, sauf qu'il n'est pas question de transformer l'auto de fond en comble : seul l'arrière doit être modifié, budget limité oblige.
Le résultat paraît en 1979. Ceux qui s'imaginent que Trevi, le nom de baptême de l'auto, fait référence à la célèbre fontaine romaine immortalisée par Anita Ekberg et Marcello Mastroianni dans la Dolce Vita de Fellini en seront pour leurs rêves d'une Italie glamour. Le patronyme est simplement né de la contraction de "tre volumi" (trois volumes). Et si les berlines à coffre se prêtent souvent à des lignes harmonieuses, la Trevi dispose d'une caisse trop haute, d'un coffre trop court et d'une curieuse custode fermée à l'arrière, censée cacher la misère : une petite vitre héritée de la Beta et remplacée par un bout de plastique totalement incongru à pareil endroit.
Une ligne extérieure ringarde et un intérieur révolutionnaire
Cette ligne vieillotte, pensée pour le public, passe cependant mal auprès de certains cadres de la maison qui rêvent de modernité. Alors ils transgressent les ordres et décident de donner une touche novatrice à la Trevi.
Malgré sa ligne extérieure datée, elle a droit à un intérieur jamais vu. Le dessin de la planche de bord est confié à l'un des plus éminents architectes et designers industriels italiens de l’époque : Mario Bellini. Pas vraiment connu pour créer des lignes ringardes, cet italien synthèse de Jean Nouvel et Philippe Starck n’est pas du tout spécialisé dans l’automobile, même s’il a collaboré avec Renault et Citroën. On lui doit surtout le dessin des machines à écrire Olivetti, et, dans les années quatre-vingt, la galerie du Louvre, sous la pyramide de Pei. L’homme accepte le projet Lancia avec enthousiasme et livre l'une des plus mémorables planches de bord de l’histoire de l’automobile.
Lorsque l’auto est dévoilée aux patrons du groupe Fiat en 1979, ils découvrent le travail de Bellini et sont fous furieux. Devant le conducteur s’étalent 29 trous. À l’intérieur de chacun, on retrouve une fonction, un bouton, un aérateur ou un manomètre. Cet Ovni sera baptisé « le gruyère » chez Fiat, et « le nid à poussière » par la presse et les clients.
La maison mère demande des comptes, et surtout, veut savoir qui a validé cette étrange planche. Étrangement, les documents ont disparu et personne, chez Lancia, ne sait qui a bien pu les signer. La direction de Fiat n'insiste pas. D’ailleurs la machine industrielle est en marche, et la nouvelle auto entre en production, avec son gruyère.
Un flop, malgré tous les efforts
C'est ainsi affublée que la Trevi tente sa chance. Elle s'acharnera à essayer de trouver son public entre 1980 et 1984, en compagnie de la Beta et de son faux hayon qui reste au catalogue, et aura droit elle aussi à la planche de bord de Bellini, puisque les deux autos partagent tout, sauf l'arrière de leur carrosserie..
Mais malgré son style classique, la Trevi est un bide. En 5 ans, il s'en vendra 37 000 exemplaires, soit moins de 7 500 par an, sachant que dans ces années quatre-vingt, Lancia vend en moyenne plus de 300 000 autos chaque année, la marque étant bien aidée, il est vrai, par le succès de la Delta. La Trevi a-t-elle failli à cause de son dessin loupé ou à cause de sa planche de bord extraterrestre ? Ou plutôt en raison du fossé et du contraste entre les deux ? Toutes ces raisons sont plausibles.
Heureusement, en 1984, la berline est abandonnée, et la Thema qui lui succède, à l'intérieur plus sage, rencontre enfin le succès. Son style extérieur ne fait pas l'apologie de la modernité, mais au moins, ses proportions sont plutôt justes. C'est déjà ça.
Reste que cette auto, une fois gommés les gros défauts qui ont plombé la première moitié de sa carrière, est bourrée de qualités dans sa fin de vie. Elle aura même droit, dans ses dernières années, à un très original moteur à compresseur Volumex de 135 ch, une boîte de vitesses à 5 rapports, encore rare à ce moment, quatre roues indépendantes et un confort royal. En plus, son conducteur pourra se flatter chaque jour d'avoir devant les yeux un pan de l'histoire du design italien et une planche de bord moquée hier, devenue collector aujourd'hui.
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