Interview de Jean-Bertrand Bruneau, une JBB en championnat FIM motos électriques.
Bonjour Jean-Bertrand ; peux-tu nous parler de l'aventure JBB ?
Alors, disons que ça fait depuis 1970 que je construis des motos. En fait, j'ai toujours été intéressé par la conception. Ce qui me passionne, dans la conception, c'est de faire quelque chose qui soit le plus cohérent possible. Et comme je suis passionné de courses, fatalement, je me suis retrouvé à dessiner des motos. Mais les dessiner, c'est bien, mais c'est encore mieux de les construire. J'ai commencé par construire des carénages, puis, j'ai adapté un moteur Kawasaki trois cylindres dans un cadre Rickman, mais comme la partie-cycle n'était pas du tout adaptée à la motorisation, j'ai décidé de fabriquer mon propre cadre. Après avoir obtenu de bons résultats avec Marc Fontan et surtout Jacques Bolle, j'ai décidé de sauter le pas en supprimant la fourche avant avec cette moto (il me montre la 250cc exposée sur le stand qu'il a construite avec J.S. Dupré). Par contre, cette moto n'a jamais couru car je développais en même temps un moteur dessiné avec l'aide de J. Buchoux ce qui faisais beaucoup de choses à la fois. Mais l'épisode du moteur a été très intéressant car c'était une époque où les usines n'étaient plus vraiment en GP 250 donc c'était le moment d'y aller. Malheureusement, je n'ai pas réussi à aboutir assez vite car tant qu'à faire un moteur, je ne voulais pas réaliser une copie du Yamaha. Dans ce cas là, autant acheter un moteur et le peaufiner. Je voulais explorer une autre voie. Je me suis inspiré de ce qui se fait pour les bateaux avec le moteur Evinrude. C'est un bicylindre en V à 90° avec une masse centrale qui sépare les deux carters pompe. On a un vilebrequin très petit et un moteur très compact. Mais je me suis heurté très vite à des problèmes à hauts régimes dû à des efforts de flexions importants car on n'a qu'un seul maneton. De plus, il a fallu que je refasse des bielles plus grosses, que je trouve des roulements adaptés ce qui m'a demandé beaucoup de temps. Et comme je suis un privé et que je faisais ça pendant mon temps libre, les usines sont entre-temps revenues à la compétition. J'ai loupé des accords avec des constructeurs français d'un rien pour des raisons politiques. Du coup, je me suis dit : « cette fourche que j'ai laissé dormir pendant dix ans, il serait peut-être temps de s'en occuper » car les premiers essais étaient très concluants. De plus, un ami qui travaillait dans le domaine des casques m'a dit : « ta 250, c'est bien mais ça demande beaucoup d'entretien et ça coute cher à l'utilisation. Si tu veux développer ton projet, il faut que tu puisses rouler et pour ça, il faut t'orienter vers le quatre temps et l'endurance. » Du coup, il m'a mis en relation avec le responsable de la concession Rosny Yam, avec qui nous avons tout de suite trouvé un accord de partenariat et ça a démarrer comme ça. Ensuite, pour diverses raisons internes à la concession, nous n'avons pas pu continuer l'aventure. Donc, je me suis retrouvé tout seul. J'ai d'abord utilisé un moteur Honda RC30, puis un Kawasaki ZX 7, mais c'était trop lourd pour moi et je n'arrivais pas à trouver de partenaires. Finalement, c'est un des pilotes de la Kawa qui courrait en Protwin avec succès, Michel Robert, qui m'a dit : « moi, ton projet, ça m'intéresse ». Nous avons redémarré l'aventure avec Jérôme Brun qui s'occupait de ses motos, et ça a donné la JBB BMW. Nous sommes relativement fièrs car nous avons réussi à gagner avec une machine d'une centaine de chevaux face à des Ducati qui en faisaient 150. Ce n'était pas simple. Il fallait vraiment que Michel Robert envoie et que le train avant assure. La moto était tellement performante sur pistes humides que nos concurrents l'avaient surnommé « le squale ». Autre anecdote, c'était sur le circuit d'Albi, réputé pour ses longues lignes droites, lors de notre première victoire. Alors que Michel Robert, en tête de la course, s'apprête à mettre un tour à un concurrent à l'entrée d'une des lignes droites, ce dernier se retourne, reconnaît Michel et lui fait signe de passer. Désespérément, le pilote de la JBB BMW essaie de lui faire comprendre qu'en ligne, il ne peut rien faire…
Ensuite, nous pensions adapter notre système à une motorisation Ducati. Mais Michel a eu l'occasion de courir avec la Suzuki 1000 TL et il a tout de suite était séduit par le moteur. C'est ce qui a donné naissance à l'@tomo. C'est une moto dont je suis particulièrement fièr parce que c'est un moteur porteur avec deux amortisseurs latéraux, une machine vraiment bien faite. Avec elle, nous avons remporté le championnat Protwin en 2002. Ensuite, Michel a décidé d'arrêter et je me suis à nouveau retrouvé tout seul. Un ami m'a mis en relation avec l'équipe qui est aujourd'hui l'équipe MetisS avec Emmanuel Chéron qui faisait de bonnes performances en endurance. J'ai toujours cherché à m'entourer de personnes réalisant de bonnes performances, ce qui était le cas pour Michel qui gagnait en Protwin, et Emmanuel qui était régulièrement dans les 7/8 en endurance avec un moteur de série. Du coup, nous avons entamé une nouvelle aventure passionnante avec Emmanuel qui est un type formidable. Voila. J'ai fait un petit peu le tour de la compétition. A coté de cela sont venu se greffer d'autres projets comme un scooter avec Peugeot qui n'a pas été commercialisé, la petite 125cc chinoise qui est ici et qui, elle non plus, n'a pas abouti ou encore un projet Moto GP qui malheureusement n'a pas vu le jour faute de financement. Aujourd'hui, l'avenir pour nous s'oriente vers la moto électrique puisque nous allons participer au championnat FIM motos électriques. La moto est terminée, mais nous attendons le moteur car ce dernier est dessiné selon nos spécificités.Nous avons un contrat d'exclusivité avec eux. C'est nous qui développons la machine, et s'il y a des ventes pour la compétition par la suite, cela passera par nous.
Pour quelles raisons ce système qui a fait ses preuves ne trouve-t-il preneur ? La fourche télescopique est-elle à ce point indétrônable ?
C'est vrai que notre machine en endurance est performante, même si ce n'est pas la moto la plus évoluée que l'on ait réalisé. Mais nous sommes obligés de faire des compromis pour une question de budget. Tout l'arrière de la MetisS est Suzuki. Au fil des années, nous avons beaucoup modifié le cadre dans sa partie avant. Ça reste une moto hybride et ce n'est pas pour rien qu'elle s'appelle MetisS.
Pour répondre à la question « pourquoi ça n'intéresse personne » ? Yves Kerlo a trouvé une réponse toute simple mais que je trouve très bonne : « ils n'essaient pas ». Pour eux, une fourche, ça marche, pourquoi faire autre chose. Le résonnement est aussi bête que ça. Moi, c'est un truc qui me dépasse complètement. Quand j'ai commencé à étudier le projet pour réaliser mon moteur, j'ai cherché un peu partout ce qui se faisait. Je suis tombé sur le moteur Evinrude, et je me suis dit : « tiens, c'est pas mal,ça ». Mais eux non. Ils continueront à monter des fourches télescopiques, avec un quatre cylindre en ligne. Yamaha a osé incliner un peu son moteur, mettre la boite au dessus, aujourd'hui, ils copient tous.
Mais même en Moto 2 où on aurait pu s'attendre à voir apparaître des choses un peu différentes ?
Là, on retombe dans autre chose, mais c'est un bon exemple la Moto 2, tout comme en Moto GP d'ailleurs. Déjà que les usines ne se mouillent pas, comment imaginer que des privés prennent ce risque. Non non, ils font l'identique de la Moto GP parce que c'est le top. Donc on est dans un cercle vicieux. Bon ! Moi je rigole quand je les vois découper leurs châssis, Suzuki qui en est à son troisième cadre alors qu'avec mon système, il n'y a pas besoin de changer de cadre, il suffit juste de changer la longueur des bras. Avec la même moto, en un week-end, on explore l'équivalent de dix, même vingt châssis si on veut. Autre chose qui est complètement stupide, c'est qu'en cas de chute, et Dieu sait s'il y en a en Moto 2 et Moto GP, la plupart du temps, la machine part en tonneaux, alors que la notre prend appuis sur son bras. En vingt ans, aucune de nos motos n'a fait de tonneaux. Je ne dis pas que ça n'arrivera pas un jour. Mais quand on voit lors du dernier GP la chute d'Hayden, sa moto a glissé sur la piste et dès qu'elle est arrivée dans le bac à graviers, elle est partie en vrille et à la fin, il n'y avait plus rien.
Notre machine est très neutre. Par exemple, entre Le Mans et Magny-Cours, puisque ce sont les deux principales courses que nous faisons, on ne change rien. La moto est saine à la base. Les pilotes qui montent sur la moto, une fois qu'ils ont commencé à l'exploiter, ne veulent plus en descendre. L'année dernière, Christophe Michel, qui n'est pourtant pas un communiquant, a été interviewé à quelques minutes du départ du Bol par un journaliste de Moto Revue qui lui demandait si ça marchait et comment ça marchait.. Il lui a répondu, alors qu'il n'avait rien préparé et que l'on était à quelques minutes du départ : « le problème n'est pas là, ça marche tellement bien que c'est à nous de nous adapter et de repousser nos limites pour pouvoir l'exploiter et en tirer le maximum car on va au-delà de tout ce que l'on connaît avec une fourche classique ». Alors quand j'entends des gens en Moto 2, en Moto GP ou des préparateurs dirent : « oui, mais vous comprenez, il n'y a aucun pilote qui signera pour un système comme ça », je rigole. Je vois ce que réalisent les miens. Alors on me dit : « oui, mais ce ne sont pas des top-pilotes ». Faut arrêter. On est à 2 secondes des temps de Méliand en endurance avec un moteur de série. Ce ne sont pas des nazes non plus. Donc voila, grand mystère et grande frustration. Mais ma frustration ne vient pas du fait qu'aucun constructeur ne veut me suivre, mais du fait que je n'ai pas les moyens de développer mon système. J'ai une géométrie globale de la moto qui ne prend pas de risque, sans trop diminuer le poids sur l'avant, et on pourrait approfondir encore les essais mais je n'ai pas les moyens pour ça. Entre Le Mans et le Bol d'Or, une moto qui a quand même fini deux fois dans le top 10 avec un moteur stock et des pneus qu'on voulait bien nous vendre, nous n'avons pu faire que deux journées d'essais : une journée pré-bol officielle et une autre où l'on s'est greffé à l'école de Dominique Sarron. Ce qu'on a fait pendant ces essais, ce sont des tests de pneus car on savait qu'on ne pourrait pas avoir ceux qu'on voulait.
L'arrivée de la catégorie Moto 3 avec un monocylindre quatre temps et des budgets moins importants n'est elle pas une opportunité pour des privés comme vous ?
Moi, je ne fais pas courir des motos, ma démarche est de concevoir quelque chose et je ne veux pas sortir de ça. Là, on a fait une petite équipe avec Yves Kerlo et Stéphane Meunier qui lui est maitre dans la conception au niveau calcul. Chacun amène ses idées ; moi, je suis ouvert à tout et tout ce qui traine, je prends. Après, j'essaie de faire la synthèse la plus cohérente possible. Par exemple, pour l'@tomo ou la MetisS, j'ai toujours travaillé en équipe avec les gens qui après, exploitaient la moto. Sur l'@tomo, Jérôme Brun nous a dit : « les gars, vous êtes bien gentil avec votre carter, mais moi, si je dois intervenir sur l'allumage, il faut démonter toute la moto ! ». Donc on a fait un carter démontable comme au niveau de l'embrayage. C'est très important d'avoir l'avis des gens qui, par la suite, vont intervenir sur la machine. J'essaie d'optimiser toutes les phases dans l'utilisation de la moto. Le but n'est pas de s'esbaudir devant la moto juste pour le plaisir, elle doit être exploitable et pouvoir réaliser des chronos. Je vais même vous dire une chose amusante. En endurance, il faut pouvoir démonter les roues le plus rapidement possible. Bien entendu, nous avons travaillé sur ce point là. On est un petit peu handicapé au niveau de la roue avant car nous avons deux vis à démonter : une pour le bras, et une pour la roue. Au Bol d'Or il y a deux ans, un spectateur averti qui nous regardait faire notre changement de roue nous dit : « pourquoi vous ne mettez pas la vis du bras de l'autre coté ? ». J'avais dessiné le système comme ça et on l'a fabriqué sans penser à ça. Il avait entièrement raison et nous avons adopté son idée pourtant toute simple. Je lui en suis très reconnaissant mais je ne peux même pas le remercier car il n'a pas laissé son nom. Par habitude, on fait des choses systématiques et c'est la même démarche pour les constructeurs.
Pour en revenir à la catégorie Moto 3, si une écurie me dit : « voila, on fait équipe avec un accord de partenariat », nous pouvons très bien fournir des éléments pas très cher voir même pas payant du tout mais nous n'avons pas vocation à exploiter la moto. C'est un autre métier et cela demande aussi d'autres budgets. Pour la MetisS, je ne fais que la conception. Je suis la réalisation mais pour tout ce qui est de l'exploitation de la moto, je ne m'en occupe pas car je ne suis pas compétent pour ça.
Donc si demain un team se présente et vous propose d'adopter votre concept, vous êtes en mesure de lui fournir ?
C'est ce que j'attends ; que ce soit le Moto 2 ou le Moto 3, peu importe. Moi, la Moto 2, elle est déjà dessinée, tout l'avant est fiable et performant, et on peut partir de choses déjà existantes pour prendre zéro risque. Ce que les gens ne comprennent pas, c'est que cela demande très peu de mise au point. Par exemple pour l'@tomo, nous n'avons fait qu'une vingtaine de tours avant de nous aligner pour sa première course en Protwin ; résultat, deuxième ; deuxième course deuxième, troisième course, deuxième. La MetisS, sortie de caisse pour les 24h d'Oschersleben, a réalisé le sixième temps. Alors quand j'entends qu'on me dit qu'il va falloir dix ans pour développer mon train avant, je peux assurer que ça marche. Pour la Renna, on a commandé un amortisseur chez Ohlins, on n'a même pas changé le ressort. Son propriétaire voulait que Michel Robert l'essaie sur le circuit Carole pour valider le système, elle a été ensuite essayée sur le Bugatti par Alan Cathcart, pour enfin être utilisée sur route et nous n'avons pas touché aux réglages. Nous avons une suspension souple qui permet de rester constamment en contact avec la piste. Les fourches télescopiques sont devenues tellement sophistiquée qu'un réglage adapté pour un circuit ne l'est pas pour un autre ce qui fait que les teams perdent beaucoup de temps en réglages. Ce qui m'agace le plus, c'est que l'on n'essaie pas ; que l'on n'adopte pas, je veux bien, mais que l'on ne fasse même pas l'effort d'essayer autre chose, ça, je ne l'accepte pas.
Je vais prendre un autre exemple, les essais post Valence ; Rossi a essayé la Ducati bichonnée de chez bichonnée et Randy (De Puniet NDR), on lui a filé la moto de je ne sais plus quel pilote de chez Pramac. Randy a bluffé tout le monde avec ses chronos, et, alors qu'il descend d'une Honda, a trouvé le train avant de la Ducati absolument fantastique. Stoner qui lui a fait l'inverse, a trouvé le train avant de la Honda génial comparé à celui de la Ducati qui est une vraie merde. Rossi monte sur la Ducati et dit : « le train avant, ça ne va pas du tout, il faut tout refaire !!!... » Cherchez l'erreur. Cela prouve une seule chose, c'est que les pilotes n'ont pas le même feeling. Et Preziosi, après les essais, a fait venir Randy, et Burgess était là, pour essayer de comprendre pourquoi il réussissait à la faire marcher alors que Rossi a beaucoup plus de mal. En tout cas, moi, je suis super content pour Randy parce que là, il a vraiment prouvé quelque chose. Et il ne faut pas oublier non plus qu'en début d'année, chez Honda, personne dans les clients n'arrivait à piloter la machine et même les pilotes d'usine étaient largués. Randy a dès le début réussi à réaliser de bons chronos. Donc il serait temps que l'on remette les choses à leurs places et qu'on lui file du bon matériel.
Pour finir, il y a aussi la Renna qui est une moto de route équipée de mon train avant. Cette machine a été réalisée à la demande d'un client, donc, comme c'est un prototype, ça coute un petit peu cher. Pour moi qui l'ai conduit sur la route, il est évident que nous n'avons pas les mêmes contraintes que sur un circuit. Elle ne doit pas partir en vrac à la première bosse, quand on freine, ça doit rester stable. Sur une moto classique, si on veut passer les bosses, il faut une fourche souple, mais au freinage, on se retrouve tout de suite en butée. Les Supersport sont inconduisibles sur route car elles sont trop rigides, et les routières sont réglées trop souple pour bien les exploiter. Quand j'ai essayé la Renna, j'ai été bluffé car en ligne droite, c'est un rail. Je me suis dit : « au premier rond point, ça ne va pas tourner… » et ça a tourné tout seul. Avec 20° d'angle de chasse, on a un rail ; la même chose avec une fourche est impossible. Un tube, ça n‘a jamais été fait pour travailler en flexion. Alors on grossit le diamètre pour compenser et à la fin, on se retrouve avec ce que l'on m'a reproché au début : un faible rayon de braquage. Mais sur la route, c'est vraiment sympa à conduire.
Voila ce que je pouvais dire sur l'aventure JBB.
Merci Jean-Bertrand de m'avoir accordé un peu de temps.
Merci pour l'intérêt que vous portez à notre histoire.
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