2. Essai - Royal Enfield Interceptor 650 : éloge de la simplicité
Contrairement aux apparences, nous n'avons pas poussé la conscience professionnelle jusqu'à nous hypsteriser pour cet essai, ni même à nous expatrier. D'autant plus que cette Interceptor 650 est bien plus qu'une moto de branchés souriants en pantalons trop serrés. Non. Nous avons bien roulé en Bourgogne, avec un casque intégral et bien au chaud dans nos équipements moto. Mais nous n'avions pas de photographe lors de notre visite chez la Sima. Donc, les statiques sont de nous, et les actions… de Royal Enfield, lors de la présentation mondiale du modèle, en fin d'année dernière. Entre les Etats Unis et la France, deux mondes, deux univers, mais un trait d'union: l'Interceptor 650.
Quoi de mieux qu’une balade en petit groupe pour se rendre compte de ce que donne réellement l’Interceptor ? L’occasion nous en est donnée au travers d’un roulage au sein de la Team Royal Enfield Europe. Une structure récente, ayant pour ambition de développer la présence de la marque sur le Vieux Continent et de soutenir, avec le concours du nouvel importateur - la Sima - les quelques 94 concessionnaires aujourd’hui implantés sur le territoire français. Oubliez les ronds de cuir, et voyez plutôt le cuir tout court. Celui que l’on porte. Ou le textile, plutôt, compte tenu de l’agréable belle température de cette fin mars 2019. Oubliez la rigueur imposée par les postes des différents intervenants, au choix responsable monde des accessoires, responsable réseau Europe au sens large, gestionnaire de la zone Europe Est ou Ouest… Sur l’Interceptor, nous sommes tous à égalité niveau mécanique, et seul le rapport poids/puissance une fois le pilote embarqué, mais surtout le style de conduite/pilotage fait la différence. Enfin ça, le panache et une certaine connaissance des routes. En effet, Frederic Frougeaud, boss de la Sima, ouvre le bal en mode rallye. Le ton de la sortie est donné !
Tandis que nous voici lancés sur les petites routes environnantes, menant à notre étape du midi, il y a dans cette mise en bouche un air de franche rigolade et de grande décontraction. Et pour cause. L’Interceptor 650 est une moto sans prétention aucune, capable de vous donner immédiatement ce que vous attendez : des sensations sans filtre, un plaisir simple et surtout, l’impression qu’elle peut vous emmener partout, pour peu que vous en preniez le temps. Même avec le petit saut de vent optionnel, l’autoroute ne sera clairement pas l’endroit où vous aimerez poser les pneumatiques ou vous prendre de l'air plein le casque. Si dans l’absolu les performances moteur le permettent, tout du moins en solo non chargé, on préférera volontiers le réseau secondaire, bien plus approprié.
Nous profitons d’une rapide prise en mains rapide avant d’attaquer les petites routes du cru. Du grand cru, dans tous les sens du terme, pour la moto comme pour le vin. Nous voici en plein terroir des cépages de renom (Pommard entre autres), et c’est peut-être là aussi un signe pour l’Interceptor. Elle donne immédiatement l’impression d’être un excellent millésime. Bien dimensionnée, bien dosée, subtile, la Royal Enfield s’ouvre à tous types de gabarit, pour peu que les bras ne soient pas trop tendus au moment de rejoindre le guidon haut et avancé. Ce cintre chromé n’est pas sans rappeler la posture d’un roadster de la grande époque, ou bien plus récemment celle d’un Scrambler 800 de Ducati. Il dégage l’instrumentation, ouvre le torse, et propose une position de conduite des plus décontractée, en sus d’un guidage précis de la roue avant de 18 pouces, tandis que l’on évolue nez au vent. On s’y « accroche »volontiers, profitant des commandes aux mains douces et agréables. Les leviers ont beau ne pas être réglables, l’embrayage doux et le freinage idéalement dosé pour un élément de cette simplicité sont un régal. Bybre est à l’œuvre pour ce qui est de stabiliser et de stopper la moto. Quelles que soient les conditions, le disque de grande taille affichant 320 mm de diamètre de la marque indienne de Brembo et son simple étrier à deux pistons donnent entière satisfaction. Tout comme l’ABS, résolument performant pour une moto au tarif d’une entrée de gamme. Son déclenchement, tardif et discret, rassure en toutes circonstances sans jamais parasiter l’action en cours. Mais freiner, pour quoi faire ? Freiner, c’est pour les lâches ! Gloups.
Pour l’instant, nous voici virevoltant allègrement sur les tracés sinueux, profitant des relances permanentes du moteur et de la faible inertie de la mécanique. Décidément, ce nouveau propulseur cumule les atouts. Déjà, il peut compter sur sa douceur et sa rondeur pour animer toute évolution à bas régimes, tandis qu’on lui découvre une boîte aux rapports assez longs pour lui permettre de donner un peu plus de voix une fois passés les 3 500 tr/min, c’est-à-dire… les mi-régimes. La 1ère pousse ainsi à près de 70 km/h, tandis que la 2nde accroche vaillamment le 100, la 3e flirte avec le 120, tandis que la 4e amène gaillardement à 140. La 5ème prendra plus mollement le relais pour amener vers la vitesse maximale, tandis que la 6ème, rarement passée avouons-le lors de notre périple, nous est apparue faire office de surmultipliée. Elle permettra cela dit d'atteindre plus de 165 km/h compteur, avec un peu de patience et des conditions favorables.
Au final, le bicylindre de 650 cm³ dupe sur sa cylindrée, donnant souvent le sentiment de se trouver sur un plus gros cube. En parlant de cube, justement, les cotes super carrées ou presque du moteur ne sont pas étrangères à ce ressenti. Elles privilégient en effet la réponse à l’accélération et la force constante, deux points que nous avons pu vérifier. Reste à choisir les trois premiers rapports pour en profiter pleinement « à l’attaque ». Mais dès lors, la partie cycle, légère et maniable à souhaits, se montre capable de bien plus qu’une balade pépère, pour peu que les suspensions suivent.
De manière très surprenante pour une moto équipée d’éléments en apparence d’entrée de gamme et non réglables autrement qu’en pré contrainte à l’arrière, l’Interceptor 650 survole la route, amortissant avec bienveillance les bosses et les cahots. Ça travaille bien, là-dedans ! Mentions spéciales aux jantes à rayons et aux pneumatiques Pirelli Phantom, lesquels proposent une carcasse radiale et une gomme de premier ordre. Avouons qu’un pneu arrière de 130 apporte également énormément à la facilité des changements d’angle, tandis que les roues plus grandes que la moyenne jouent bénéfiquement sur la stabilité Royal(e) de la moto. L’ensemble est prompt à amoindrir les mouvements après que l’on soit passé un peu vite à certains endroits, ou que l’on ait abusivement haussé le rythme. Car il ne faut pas oublier la modestie du cadre double berceaux en acier, et celle des prétentions initiales de l’Interceptor. La rigidité est cependant bien là lorsqu’il le faut, tout comme une certaine élasticité prompte à encaisser bien plus qu’il n’y paraît. Aussi lorsque l’amortissement commence à pomper, la géométrie assez ouverte de la Royal Enfield 650 permet de ne pas se sentir en insécurité, bien au contraire. On sourit d’arriver ainsi aux limites, tout en sachant que l’on peut les contourner par un bon placement sur la selle et une bonne poigne, ou tout au contraire en laissant vivre la moto entre les bras et les jambes. Une Interceptor, c’est vivant, cela se sent !
La bonne humeur communicative de notre troupe continue de faire merveille. Dans les épingles, où l’on aurait pu craindre de voir les repose-pieds ou encore les pieds de la béquille centrale frotter, il n’en est rien tant que l’on s’enroule autour de la courbe, profitant de l’élan et du guidage précis. Reste simplement à relancer énergiquement pour ne rien rater de la « balade » énergique. Une compression pouvant mettre à mal la garde au sol de 174 mm, on se méfie un peu, d'autant que sur la Continental GT, c'est la ligne d’échappement qui peut alors frotter. Nous voici arrivés à destination. Durant le déjeuner, séance de chambrage collective et autodérision. Voici l’un des nombreux effets de la Royal Enfield. Quel qu’ait été le rythme préalable, d’aucun apprécie rouler à sa main, aussi cool ou sportive soit-elle.
« Dis donc, tu roulais en pleins phares, non ? ».
« Non, non, ce sont les suspensions qui sont souples… » (tout en regardant son ventre)
ou encore :
« T’attaquais, toi ? » (avec une petite perle de chaud sur le front et le souffle court)
"Non, on se promène, et il y en a toujours un qui me ralentit devant…"
… etc. Esprit Joe Bar, donc, dans toute sa splendeur et dans toute sa simplicité. Esprit motard avant tout, Royal Enfield par-dessus tout. La preuve ? Nous repartons par la route de la course de côtes d'Urcy. Un petit moment de bravoure pour l'Interceptor, qui s'en sort avec les honneurs et avec brio. En toute sobriété, une fois encore. Y compris niveau consommation. Si la jauge à essence de type barre graph nous est apparue assez peu précise, nous avons largement pu parcourir plus de 200 km avec un plein. Nul doute qu'en mode balade le moteur parvienne à offrir près de 280 km d'autonomie.
Dès lors que l'on a compris ce qu'elle peut, ce qu'elle veut, on évolue avec vélocité et sans entrave. D'une part, les performances contenues ne mettent pas réellement en danger les moins expérimentés, tandis que les plus chevronnés apprécieront de pouvoir rouler à leur main tout en obtenant d'excellentes sensations. Mécaniques, pour commencer. Une fois encore, le bicylindre distille son charme, et ses vibrations contenues partent de sous la selle pour s'évacuer par un pot à la sonorité définitivement agréable. Seul le guidon ne parvient pas à amortir les fréquences élevées, faisant ressortir l'intérêt des rétroviseurs proposés en accessoires. De meilleure qualité, ils sont également bien moins flous et bien moins "légers".
L'après-midi enchaîne les pauses et les roulages, tandis que nous finissons par atterrir au château de Savigny-Les-Beaunes. Un lieu surprenant et intriguant, à découvrir tout comme l'Interceptor, et aussi hétéroclite que la population motarde pouvant accéder à cette moto. Une moto A2, certes, mais avant tout une moto et une bonne moto. Rouler à son bord évoque immanquablement les années 70/80 et la Honda CB 750, avant que l'on ne se souvienne que l'Interceptor première du nom fut lancée en 1963… Si le temps passe, l'esprit demeure.
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