Essai - Aprilia Tuono 660 : concurrente turbulente
Deuxième opus issu de la plateforme 660, la Tuono fait son apparition sur les terres romaines. Une apparition remarquée et remarquable pour un modèle qui change la donne chez les roadsters sportifs de moyenne cylindrée. Vous ne le croyez pas ? Attendez de la découvrir…
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Note
de la rédaction
14,7/20
Commençons par son tarif : 10 550 €. Élevé ! On pourrait se dire que pour une « middle size », donc une moto de moins de 750 cm³, cela fait un petit pactole. Pour autant, il convient de relativiser et surtout de jeter un œil sur sa dotation d’origine et sur ses caractéristiques : avec un petit réservoir de 15 litres et un poids annoncé de 183 kg tous pleins faits pour 95 chevaux mesurés dans le bicylindre calé à 270° (comme la Yamaha MT07), Aprilia place sa Tuono dans les meilleurs rapports poids puissance du marché des roadsters sportifs de moyenne cylindrée. Et le tout est sous l'égide d'une électronique voulue de point. C’est bien simple, mis à part une Street Triple RS, qui est un roadster pur et dur, ou les BMW F900 R ou XR, difficile de faire mieux en matière d’équipement. Hormis les suspensions réglables électroniquement, il ne manque rien à l’Aprilia de ce qui fait un haut de gamme, ou de ce qui est habituellement réservé à la grosse cylindrée. Quant à savoir si l'on en a réellement besoin, voici de quoi vous décider.
Électronique de pointe, version allégée
Le package électronique serait-il complet. Pas tout à fait. La Tuono « de base » ruse et propose une version dégradée de celui équipant sa sœur sportive : la centrale inertielle scrutant 6 axes est proposée en option. Une curiosité, pour ne pas dire une incongruité, surtout lorsque l’on considère la plateforme et le timing de développement communs, ainsi que la faible différence tarifaire. D'origine, la version roadster ne profite donc pas de l’ABS sur l’angle, ni des fonctions de paramétrage et d’analyse plus avancées, au nombre desquels les feux adaptatifs, également corollaires à ce dispositif. Autre curiosité, le shifter est lui aussi en option. En ce cas, pourquoi ne pas avoir fait deux versions de la Tuono 660, comme c'est le cas pour les grandes, qui se déclinent en différents niveaux d'équipement ? (Factory, R, etc.)
Encore plus étrange, nous venons de le dire, la Tuono 660 peut bénéficier de ces caractéristiques, mais en option seulement. Combien en coûtera-t-il ? Plus cher, mon fils, plus cher, mais nous ne disposons pas encore du tarif français de l’option. Au prix d’une ECU sur le marché actuel, et au vu du tarif de la RS 660 qui en est nativement dotée, on peut redouter une addition un peu plus salée mais ne dépassant pas les 11 000 €. L'occasion de remarquer qu'aucun dispositif de clef codée n’est en place, ce qui amenuise le coût global. Quant à savoir ce que l’on gagne et surtout si l’on y perd, avec cette autre gestion électronique, nous verrons cela en page suivante, lors de notre essai routier d'une version manifestement dotée la centrale inertielle la plus performante.
Pour ce tarif de base (10 550 €, rappelons-le), on ne dispose pourtant que d’un bras de fourche réglable en détente et en compression, l’autre étant non réglable. Il est des bizarreries et surtout des économies que l’on a du mal à expliquer, surtout à ce niveau tarifaire. La nouveauté 2021 surfe donc sur le fil du rasoir en ce qui concerne les choix techniques et technologiques opérés et le discours marketing allant de pair, y compris pour se démarquer de sa sœur, mais l’ensemble est on ne peut plus cohérent et visuellement attractif.
Légèrement plus simple que la RS 660, la Tuono profite de la même base architecturale, tant au niveau du moteur porteur et de son cadre aluminium, que du bras oscillant ou encore des commodos, des jantes et des périphériques de freinage (confiés à Brembo). À propos du cadre, justement, la peinture appliquée lui donne un effet « plastique » peu agréable, tandis que l’on se prend à espérer une version « brute » vernie, ou un coloris plus flatteur, prolongé par celui du bras oscillant et des platines repose pieds. Une proposition plus agressive, plus sport et tout simplement, moins… Playmobil. La critique est lâchée, mais affaire de goût, tout comme le design.
D’un bon niveau, la finition ne respire pas la même qualité, le même luxe que sur une anglaise siglée Triumph et ne propose pas autant de sophistication ou de détails qu’une allemande badgée BMW. Elle ne respire pas non plus l’ambiance japonaise, si caractéristique et s agréable au niveau du traitement des plastiques, de l'ambiance à bord ou tout simplement de la visserie et de la peinture. Cela dit, les coloris sont particulièrement bien choisis et séduisants. Une fois encore, nous avons opté pour la version jaune flashy (Atomic Gold) lors de cet essai. Une simple impression, mais la perception joue un rôle très important dans le déclenchement d’un achat. À ce titre, la Tuono perd quelques points face aux modèles phares des autres constructeurs, mais elle est loin de perdre la face !
Sportif, vous avez dit sportif ?
La monte pneumatique demeure hyper sportive, avec les Pirelli Diablo Rosso Corsa II du meilleur effet quand il fait chaud et beau et légèrement inquiétants lorsqu’ils rencontrent les conditions de notre essai : des températures négatives le matin, tout juste positives l’après-midi et surtout des routes salées, verglacées et défoncées. Et c’est compter sans le bestiaire croisé lors de notre périple de près de 200 km. Brebis, vaches et leurs déjections diverses, ne manquaient que les poules qui avaient cela dit parsemé l’asphalte de leurs nids profonds et résolument peu douillets. Ouch. Ça sent bon la campagne, dans notre petit coin d’Italie ! Mais ça sent surtout bon la bûche, si l’on en croit la petite voix qui nous dit de rester au lit, tout du moins bien au chaud. Surtout en apercevant une fontaine glacée devant les motos courageusement alignées et prêtes à aller au casse-pipe théoriquement annoncé.
Dites donc, pour laisser partir une bande d’excités comme nous au guidon (très large…) de leur nouveauté, ils ont l’air d’avoir sacrément confiance dans leur électronique, les loulous de chez Aprilia ! Là, ce n’est plus rouler sur des œufs, même si comme dit précédemment les nids-de-poule sont légion et de taille hallucinante. Et on peut les comprendre, les ingénieurs maison. Ils ont déjà développé pour la RSV4 ce qui se fait de mieux en matière d’assistances sportives, aussi peut-on penser qu’il y a là un certain bagage et un savoir-faire certain. Déjà, le freinage anti blocage profite d’un développement des plus sportif (merci Brembo, Bosh et la fixation radiale des étriers et du levier de frein), mais en l’occurrence, régler l’attaque plus douce au levier est apparu de rigueur.
On apprécie immédiatement l’ergonomie des commandes et la possibilité de rentrer aisément dans les menus de configuration. Alors oui, les commodos sont énormes et oui, on aurait apprécié un dispositif plus compact et plus semblable à la commande de régulateur de vitesse (implémentée d’origine). Appuis courts, appuis longs, navigation simple et menus fournis, on peut désactiver ce qui fâche (au hasard, l’indicateur de freinage d’urgence, le précoce de service…), fixer les seuils de clignotement du shiflight, activer ou non le shifter électronique (en option, mais actif à la montée et à la descente !), le niveau de luminosité de l’instrumentation digitale (piquée à la V85 TT), mais une question se pose : pourquoi avec toute cette électronique, ne pas avoir mis un arrêt automatique de clignotant alors qu'il est annoncé dans le dossier de presse ? Nous ne l'avons en tout cas pas vu fonctionner, ni même trouvé à l'activer dans le menu. Nous verrons bien lors d'un prochain comparatif si l'on parvient à activer le dispositif.
Ça, c’est LE truc qui va bien, Ze invention qui fait plaisir aux étourdis, aux jeunes conducteurs qui n’ont plus à chercher la commande d’arrêt, etc. Ah ça, pour le reste, il y a du monde, et du beau monde, qui plus est. Du haut de gamme, effectivement, du qui flatte et qui fait se dresser le… poil, et pas que. La roue avant n’est pas avare en lévitation, nous allons le voir un peu plus tard.
Si les modes Commute et Dynamic dictent leurs propres règles, ces deux comportements moteur de référence, que l’on pourrait dire pour le premier très légèrement sage, pour second plutôt énervé, sont l’un et l’autre enthousiastes et largement suffisants pour se faire plaisir, quel que soit le niveau d’expérience. Avec un anti cabrage pourtant désactivable ou paramétrable sur l’un de ses 3 niveaux, parallèlement au contrôle de traction, on peut amenuiser en un sens tous les risques liés à un enthousiasme débordant. À l’opposé, il est offert de mettre tout ou presque en berne via le mode de comportement « Individuel ». À vous la liberté de choisir ce que vous souhaitez conserver et à quel niveau. Et là, on entre dans un autre monde, un peu plus geek, peut-être, mais surtout bien plus sensationnel. On peut éteindre un caractère ou le façonner, l’aiguiser, l’attiser.
En supplément des modes aisément accessibles, il est possible d'activer 2 modes "cachés" dans le menu de configuration. Dénommés Chalenge et Time Attack, ils changent radicalement l'ambiance visuelle du compteur, celui-ci devenant un accessoire pour claquer une pendule, comme l'on dit. Un chronomètre et l'indicateur de rapport engagé sont mis en avant, la vitesse et le compte-tours sont toujours présents, mais plus discrets et plus visuels. Dernier point pour les amateurs de connexion Bluetooth et d'application pour smartphone : il est offert de connecter un téléphone et l'afficheur digital, fin de déporter des fonctionnalités et de piloter navigation, musique ou encore appels depuis le guidon. De l'info-divertissement comme ils disent chez Aprilia. Et nous qui pensions bêtement que conduire une moto demandait une attention permanente. Bref.
Un mode Individual au top
Pour tirer le meilleur de l’électronique embarquée et en tester l’efficacité, il va donc falloir jouer du bouton Mode et surtout opter pour le mode de conduite personnalisable, judicieusement dénommé « Individual ». On peut alors intervenir sur la réponse des gaz (plus ou moins vive – 3 niveau), le niveau de frein moteur (plus ou moins présent), le seuil de déclenchement du contrôle de traction/de l’anti cabrage (plus ou moins sensible, voire désactivé), ou encore régler sur 3 niveaux de sensibilité l’ABS partiellement déconnectable (plus ou moins permissif).
Du plus intrusif (3) à celui désactivant l’ABS à l’arrière et laissant copieusement lever la roue arrière, on module sans vergogne et avec effet immédiat. Les dégourdis du pouce vont adorer. Les autres profiteront immédiatement de tout ce que les deux autres modes implémentés ont à offrir. Accessibles rapidement depuis le commutateur installé sur le commodo droit, on adapte la moto au terrain de jeu et surtout à ses humeurs ou ses possibles.
À ce propos, la combinaison ABS déconnectable à l’arrière et quelques autres paramètres nous font penser que le futur trail routier déjà annoncé, du moins bien éventé, profite lui aussi de la même base électronique et mécanique. Ce ne sont donc pas 2, mais 3 modèles qui vont profiter de ce nouveau moteur et de cette nouvelle architecture. La Tuono profite d’un angle de chasse plus fermé et donc d’un empattement plus court, obtenu par un jeu sur la fourche, différente entre les deux modèles. Plus courte, la roadster devrait donc se montrer plus nerveuse et plus vive.
Mais avant de prendre la route, et avant que les doigts et le bout des oreilles ne gèlent, faisons rapidement le tour de la moto. Le design est particulièrement inspiré. Difficile à dissocier de la Sportive, la Tuono montre davantage son moteur, et profite d’un carénage avant en deux parties : un tête de fourche fixe et des écopes de radiateur, raccordées visuellement au sabot moteur. En découle une ligne tendue, sportive et légère, inspirante et inspirée. Les codes graphiques de la Tuono sont bien là, tandis que l’arrière se montre fin, mais un peu plus prompt à accueillir un petit fessier en guise de passager, qui pourra bénéficier d’une assise étroite et de « poignées » de type spoiler.
À propos d'assise, le conducteur aura le derrière placé à 805 mm au-dessus du sol (soit 15 de moins que la RS), ce qui met ce dernier à portée de nombreuses longueurs de jambes, compte tenu de l'étroitesse de la moto et de l'arcade de selle. Rapproché du poids contenu, on tient là une moto idéale pour ne pas impressionner de par son gabarit, même si son look parvient à la faire paraître plus imposante qu'elle ne l'est. Les grands gabarits ne seront pas mal installés non plus, avec une implantation des repose-pieds (caoutchoutés s'il vous plaît ! ) à l'arrière de l'aplomb des épaules.
Allez, les températures viennent de passer dans le positif, le jour s'est levé sur les collines surplombant Rome et il est temps d'aller mettre la Tuono dans tous les sens. La RS 660 encore fraîche en notre mémoire, les différences apparaissent instantanément.
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