Enquête: quelle voiture autonome pour demain?
Mercedes devient le premier constructeur automobile au monde à recevoir une approbation internationale pour la conduite autonome conditionnelle de niveau 3. Un nouveau pas vers l’avènement de la voiture autonome et l’abrogation du rôle du conducteur ? Cette avancée technologique ne va pas sans poser des questions pratiques, éthiques et même philosophiques.
Après l’Allemagne (mai 2022), pionnière européenne en la matière, c’est au tour du Nevada de juger le système Drive Pilot de Mercedes conforme à sa législation et ainsi autoriser la mise en circulation sur ses routes des premiers véhicules à délégation de conduite de type 3 (voir encadré plus bas sur les différents niveaux d'autonomie).
De quoi permettre à la voiture de se piloter, dans certaines conditions, toute seule, laissant au conducteur le soin de faire tout autre chose sans même avoir besoin de tenir le volant ou de regarder la route.
Ce point crucial constitue une totale nouveauté en matière de mobilité automobile grand public. La voiture va utiliser des fonctionnalités similaires au niveau 2, mais avec une différence de taille : le conducteur n’est plus responsable de la conduite. Une fois le système Drive Pilot actif, c’est la voiture qui « conduit » seule, le conducteur devenant quant à lui un simple passager, certes momentanément et sous certaines restrictions. Une première mondiale pour un véhicule grand public.
Des conditions d’utilisation encadrées
Pour l’heure, la conduite autonome de niveau 3 est autorisée dans des espaces et selon des conditions bien définis. Le système avancé d’aide à la conduite (ADAS) devient opérationnel sur autoroutes ou voies séparées par un terre-plein central ne pouvant pas être empruntées par des piétons ou des cyclistes et à une vitesse maximale de 60 km/h (40 mph).
Le Drive Pilot n’autorise aucun changement de voie, et ne fonctionne pas en cas de pluie, la nuit, si la température extérieure descend sous les quatre degrés. Inactif, le système l’est également en cas de chantiers, ou lors de traversées de tunnels ou de passages souterrains de plus de 50 mètres. Bref, autant le dire tout net, ici la conduite autonome devient plus une exception que la norme. Rares sont les occasions d’activer le Drive Pilot.
Quant au conducteur, il est tenu de rester sur son siège, et de garder son visage visible pour les caméras embarquées du véhicule à tout moment. Ce qui ne l’empêche pas de tourner la tête pour parler à un passager ou jouer à un jeu sur l'écran d'info-divertissement du véhicule. Il peut même téléphoner. Oui c’est possible dans certains pays comme l’Allemagne. Reste que la figure du conducteur doit rester en permanence « libre ».
Lors d’un test, le journaliste du site automobile américain The Drive a amené un appareil photo devant son visage pour prendre une photo, et le système s'est désengagé. Plutôt rassurant.
Voyons concrètement comment cela fonctionne avec Hauke Schrieber, du lmagazine Auto Bild. «Alors que je conduis sur l'autoroute de la ville de Berlin. À un moment donné, le système signale : je suis prêt. Exigences : autoroute, marquage au sol bien visible, vitesse inférieure à 60 km/h. Une tonalité, une lumière sur le volant, c'est parti. J'appuie sur le bouton pilote de conduite. La lumière sur le volant et sur l'écran passe au vert turquoise. À partir de maintenant, la voiture me conduit. Je décroche mon téléphone, d'abord avec précaution, bientôt avec assurance ».
Quand la voiture demande au pilote de reprendre la main, un voyant (en forme de volant avec deux mains de couleur rouge posées dessus) indique au conducteur de mettre les mains sur le volant.
S’il ne le fait pas au bout de quelques secondes, une alerte sonore retentit, puis le prétensionneur de ceinture envoie des vibrations. Et s’il ne se passe toujours rien au bout de 10 secondes, la Mercedes déclenche un arrêt de sécurité, allume les feux de détresse et déverrouille les portes. Le résultat d’une foultitude de prouesses technologiques embarquées au sein de la voiture.
Une fiabilité technologique sans faille (?)
En plus des caméras et du radar, le système Drive Pilot s'appuie sur les données des microphones pour détecter l'approche des véhicules d'urgence et d'un capteur LiDar pour construire un modèle 3D de son environnement.
Notre LiDar (Light Detection And Ranging) fonctionne de façon similaire à un radar, mais au lieu d’utiliser des ondes radio, il utilise des faisceaux lumineux afin de construire une image 3D de son environnement. À partir de cette image, le capteur détecte tous les objets autour du véhicule, les classe et en suit la trajectoire : cette opération, largement basée sur les technologies de l’Intelligence Artificielle, est appelée la « couche logicielle de perception » explique Clément Nouvel, Directeur Technique chez Valeo. « Cela permet de détecter avec précision les débris ou les petits objets sur l’autoroute à plus de 150 mètres devant nous (et des objets de grande taille à plus de 200 m). Aujourd’hui, le LiDar est capable de prendre en charge la conduite autonome jusqu’à 130 km/h ». Mais aucun constructeur ne s’y est encore essayé. Pourquoi ?
Alors même que chez Valeo, sans avoir « une foi inébranlable dans la technologie » on assure que « l’auto ne buggera jamais. Il est possible que l’un des systèmes embarqués tombe en panne. Dans ce cas d’autres capteurs sont là pour prendre le relais, pas juste sur une panne mais même s’il y a deux pas. Contrairement à un ordinateur ou s’il plante, c’est fini, il y a dans la voiture comme dans un avion un filet de sécurité » complète Clément Nouvel. Comme on peut le constater, la technologie demeure fiable à n’importe quelle vitesse jusqu’à 130 km/h. Alors même que la législation allemande par exemple le permet, Mercedes ne s’y est encore pas risqué. L’environnement serait encore trop aléatoire.
Le constructeur responsable pénalement
Avec le Drive Pilot, le constructeur engage pour la première fois sa responsabilité pénale en cas d’accident. Une première mondiale. Jusqu’alors tous les systèmes mis en circulation sur route sont toujours considérés comme une technologie de niveau 2 (Tesla Autopilot, GM Super Cruise, Ford BlueCruise), ce qui signifie que le conducteur est toujours responsable.
Le fait que le Drive Pilot de Mercedes soit un système de niveau 3 change tout. Une fois le Drive Pilot enclenché Mercedes est pénalement responsable en cas d’accident. La détermination des circonstances et des responsabilités au niveau technique s’effectue via des boîtes noires (Event Data Recorder) intégrées dans l’automobile. Comme pour les avions, cela permet de déterminer si l’erreur est humaine ou non. La loi est donc très claire sur le sujet. Mais ce qui l’est moins, c’est le risque lié à la reprise en main du véhicule par le conducteur lui-même.
D’après une étude du Centre d’Investigations Neurocognitives et Neurophysiologiques mentionnée par la Fondation MAIF, il est constaté qu’avec un système d’assistance à la conduite « sans sollicitation extérieure, le conducteur tombe très vite en hypovigilance et les temps de réaction sont plus que doublés entre une conduite avec, ou sans assistance. En cas de désactivation d’un système de maintien dans la voie de circulation, le temps de reprise en main du véhicule en toute sécurité est de 4,5 secondes en moyenne. »
Soit une distance de 150 mètres parcourus si le véhicule roule à 130 km/h. Sans parler qu’occuper au téléphone ou à regarder un film sur la tablette d’info-divertissement le conducteur déconnecté de la conduite pendant une longue période, peut se montrer surpris ou réagir de manière excessive ou inadéquate au moment de reprendre soudainement le contrôle dans une situation d'urgence. « Au moment où le système demande au conducteur de se remettre en conduite manuelle, ce dernier redevient responsable » explique Julien Lévy, expert produit et technologie chez Mercedes avant de tempérer que cela ne se fait pas brutalement : « le système reste enclenché pour laisser le temps au conducteur de reprendre le volant ».
Quid du hacking?
Il n’empêche. Ce point n’est en rien négligeable. Que se passerait-il si un accident survient alors même que le système Drive Pilot est enclenché, mais que « la voiture » a demandé au conducteur de reprendre le volant?
Chez Mercedes, on se contente de lire la loi et de rappeler l’engagement de la responsabilité du constructeur lorsque le Drive Pilot est enclenché. D’accord mais rien n’empêche le constructeur de poursuivre un conducteur au motif que celui-ci n’a pas répondu aux injonctions de la voiture ? Notamment en cas de hacking du système.
Une option hautement improbable, si ce n’est impossible pour Mercedes. « Beaucoup de capteurs sont mis en relations les uns avec les autres, s’il y a une défaillance de l’un d’eux, si l’ensemble des systèmes ne sont pas au vert, le Drive Pilot ne s’enclenche pas » explique Julien Lévy.
Moins convaincue la fédération des assureurs, France Assureurs, prévoit ceci : « Un véhicule qui subirait une attaque informatique et qui causerait un accident serait couvert dans le cadre de la garantie Responsabilité Civile automobile. Si cette cyber-attaque entraîne le vol du véhicule, il conviendra de se reporter aux conditions du contrat d’assurance. En cas de cyberattaque de plus grande ampleur ou attaque terroriste, les victimes seraient indemnisées par le Fonds de garantie de victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) ».
Si on suit scrupuleusement jusqu’au bout le raisonnement Mercedes, le système Drive Pilot ne peut être pris en défaut, il ne peut donc jamais être responsable d’accident et donc le constructeur n’engagerait jamais sa responsabilité pénale. Et pourtant !
La sécurité avant tout
Outre-Atlantique, les cas de bugs sur les systèmes d’aide à la conduite (qui ne sont que de niveau 2) se multiplient. Le Full Self Driving de Tesla est concerné par une campagne de rappel décidée par la NHTSA, l’organisme responsable de la sécurité des voitures aux Etats-Unis qui estime que le système peut enfreindre certaines règles du code de la route, même si elle précise que ces erreurs sont « très spécifiques et rares ».
General Motors avait rappelé, l’année dernière une partie de ses véhicules, afin d’effectuer des mises à jour du système Cruise après que deux conducteurs ont été blessés dans une collision avec un autre véhicule.
Mais ces incidents restent pour l’heure marginaux. Il fait aujourd’hui consensus que les facteurs humains sont en cause dans 80 % à plus de 90 % des accidents. Ils en sont même la cause exclusive plus de la moitié des cas. À en croire les spécialistes, le développement de la voiture autonome permettrait de réduire de 70 % à 80 % les accidents de la route.
Des primes d’assurance en baisse ?
Quand on dit moins d’accidents, on pense aussitôt à une baisse des primes d’assurances pour les conducteurs, notamment ceux dotés de véhicules à délégation de conduite niveau 3 et plus.
Pas si simple, répond la fédération des assureurs français, France Assureurs rappelle « qu’une cotisation d’assurance se calcule à partir du coût moyen des sinistres et de leur fréquence. La voiture à délégation de conduite promet de réduire considérablement cette fréquence des sinistres. Mais en parallèle, le coût unitaire des sinistres va augmenter sensiblement en raison de la valeur des équipements embarqués qui seraient endommagés. L’évolution du coût de l’assurance dépendra de ces deux paramètres. »
Extension du domaine de l’autonomie
« On a des demandes pour étendre le domaine opérationnel de ce type de système. Progressivement, ils vont changer de voie, aller sur des zones rurales ou urbaines », développe Clément Nouvel de chez Valeo.
Constructeurs et acteurs publics multiplient les annonces. GM veut développer son Ultra Cruise, qui devrait permettre de laisser la voiture manœuvrer 95 % du temps, sur autoroute, mais aussi en ville et en banlieue. Le conducteur pourrait n'avoir à reprendre le volant que dans les zones de construction ou sur les intersections complexes. Ford a déclaré qu'il se tournerait vers "la technologie L2+/L3 développée en interne". Audi, BMW et Volvo ont tous déclaré qu'ils travaillaient sur leurs propres systèmes de niveau 3.
Aujourd’hui, un Drive Pilot pour une Mercedes Classe S coûte plus de 5 000 euros et jusqu’à près de 8 000 euros dans l'EQS où le système est couplé au Driving Assistance Package Plus.
Une paille, qui fait dire à certains qu’au stade actuel d’utilisation ce système est plus du marketing qu’une réel service au conducteur. Chez Valeo, on travaille pourtant à réduire la taille, mais également le coût du LiDar, afin de pouvoir l’imposer dans n’importe quel véhicule. Mais avant même de pouvoir « automatiser » tous les véhicules, encore faut-il harmoniser les lois internationales.
Des législations hétéroclites
Outre-Atlantique, 23 Etats ont légiféré pour favoriser le développement du véhicule autonome. Le NHTSA (agence fédérale américaine chargée de la sécurité routière), pour pallier l’hétérogénéité des textes, a estimé qu’un système informatique basé sur l’intelligence artificielle pouvait avoir le statut de conducteur, et a mis en place un cahier des charges que les constructeurs doivent respecter pour pouvoir faire circuler leurs véhicules autonomes.
La loi du Nevada autorise tous les niveaux d'automatisation, sans distinction, à fonctionner sur les voies publiques. Aucune homologation n’est décernée sur le niveau d’automatisation du véhicule. Mais les conditions de circulation quant à elles demeurent très strictement encadrées.
En Europe et parmi les pays signataires de la convention de Vienne sur le circulation routière, la présence d’un conducteur (muni du permis de conduire) reste obligatoire. Ce qui empêche sauf dérogation toute circulation de véhicule avec un niveau d’autonomie SAE (Society of Automotive Engineers) de niveau 5.
Mais faute d’harmonisation, plusieurs interprétations s’opposent au sein de l’Union européenne. Comme la France, certains refusent de se passer de conducteur. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas, estiment que les amendements doivent être interprétés souplement, et qu’ils permettent désormais le déploiement des véhicules automatisés au moins de niveaux 3 et 4. L’Allemagne, quant à elle, veut permettre la circulation des véhicules au niveau 5 sans pilote, comme les Etats-Unis et le Japon, sans attendre un nouvel amendement. Alors la voiture autonome, c’est pour demain ?
Une vision à long terme
« L’autonomie totale est une vision plus qu’un objectif » concède Clément Nouvel, Directeur technique LiDar chez Valeo. « Notre objectif est d’abord sécuritaire. L’autonomie totale n’est pas un problème essentiel.» Ni peut-être même une urgence absolue en ce qui concerne les automobiles individuelles grand public.
D’abord, les constructeurs engagés dans la transition écologique et l’avènement de la voiture électrique doivent investir des sommes considérables dans le développement et la construction de ces nouveaux véhicules.
Ensuite parce que cartographier et modéliser l’ensemble du réseau national, européen et international demande beaucoup de ressources. Une autre restriction provient de l’état du réseau routier en lui-même.
En-dehors des grands axes, en milieu rural, les routes n'ont pas toujours de marquage au sol pour que les véhicules autonomes puissent se repérer facilement. Sans parler de leur profil étroit et sinueux qui limite la visibilité sur une longue distance et donc une anticipation suffisante pour le système de conduite autonome. En ville, la densité et l’hétérogénéité du trafic apparaissent comme un défi supplémentaire à surmonter.
Des véhicules partagés
Ce qui fait dire à Franck Cazenave auteur de La robomobile (éditions Descartes & Cie) que la voiture autonome à usage individuelle est inutile. Notamment « parce que 90 % du temps un véhicule individuel reste garé ».
Pour lui, le développement de la voiture autonome ne peut se concevoir que de manière collective et partagée dans une notion de services aux personnes dans des endroits où l’offre de transport public demeure faible. A savoir entre les villes de milieu rural ou les cités inter-banlieues.
Cela permet de répondre aux questions de pollution, mais aussi de densité du trafic. C’est bien mieux que le train. La route permet une capillarité de desserte bien supérieure au train, car le réseau existe déjà, il n’y a quasiment aucun gros travail d’infrastructure à prévoir.
Au-delà de la problématique de l’autonomie, c’est tout un projet de société qui se dessine. En permettant une amplitude des fréquences des transports publics « autonome » on permet à des personnes, qui n’ont pas la capacité, de conduire de se déplacer et on maintient du lien social.
Les faits semblent lui donner raison. Partout, où se déploient les véhicules autonomes, cela se fait dans le cadre de services aux personnes ou de délégation de service public.
Aux Etats-Unis Waymo a ouvert un service de robot taxi surnommé Waymo One. En Allemagne, la métropole de Dambach mène une expérience d’insertion de VTC autonome dans la circulation. Il semble dans un premier temps que le développement de la voiture autonome soit public. Réponse dans 10 ans, 20 ans voire davantage.
Les différents niveaux d’autonomie d’une voiture
Niveau 0 : Conduite manuelle. Le conducteur réalise toutes les tâches de conduite.
Niveau 1 : Conduite assistée : Le conducteur dispose de systèmes d’assistance à la conduite (régulateur de vitesse, freinage d’urgence, Lane Assit…) mais il reste le pilote en toute circonstance.
Niveau 2 : Conduite partiellement automatisée : la trajectoire de la voiture (mouvements longitudinaux et latéraux) est assurée par la machine, le conducteur peut lâcher temporairement le volant.
Niveau 3 : Conduite automatisée. La trajectoire est gérée automatiquement et la voiture est capable de surveiller son environnement de conduite et possède la capacité d’alerter le conducteur si une situation nécessitant sa reprise en main.
Niveau 4 : Conduite hautement automatisée : la trajectoire est gérée automatiquement et la voiture surveille son environnement, assure la sécurité sur certains types de routes.
Niveau 5 : Conduite totalement automatisée : la voiture est totalement automatisée sur tout type de routes
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