DESIGN BY BELLU - Matière à réflexion : "À l’intérieur de l’EZ-Ultimo, un autre monde. Comme si l’on décorait le Soyouz de Thomas Pesquet à la façon de la salle d’attente du Chabanais".
Le carbone n’a pas destitué le bois ! Quand on s’insinue dans l’intimité des concept-cars récents, on s’aperçoit que les artisanats traditionnels continuent de côtoyer les technologies futuristes. Preuve que les designers ne sont pas en panne d’essences.
Dans les habitacles d’aujourd’hui et de demain, les valeurs les plus conservatrices se mêlent aux postures les plus progressistes. Au récent Mondial de l’Automobile, à Paris, les concept-cars n’étaient pas très nombreux, mais ils étaient édifiants. Malgré le boycott observé par beaucoup de constructeurs, plusieurs designers ont donné leur vision de l’automobile de demain.
En observant leurs concept-cars, on constate que la plupart des créateurs contemporains aiment insuffler une note d’intemporalité (d’éternité ?) dans les décors les plus utopiques. Prenez les engins interstellaires que Renault a concoctés au cours des derniers mois. Par-delà leurs concepts révolutionnaires, dérangeants - et même saugrenus selon certains commentateurs -, les hommes de Laurens van den Acker ont instillé quelques touches de tradition dans leurs décors de science-fiction. Extérieurement, la EZ-Ultimo est extravagante, plate, secrète, obscure. L’habitacle clos est emballé dans un sarcophage sur laquelle scintillent six-cents losanges argentés entourés d’un océan de laque noire. Beaucoup détestent… D’autres (j’en suis) se réjouissent du retour à une vraie « voiture de rêve », un authentique dream car comme on disait en Amérique à une époque où Trump n’envoyait pas encore de tweet. Ce n’est pas le sujet…
Le sujet, c’est le contraste entre l’image hautement technologique que veut véhiculer l’automobile et la rassurante sérénité qu’inspirent le luxe et la volupté.
Renault EZ Ultimo.
À l’intérieur de l’EZ-Ultimo, un autre monde. Chaleureux, feutré, tamisé. Des meubles en noyer, un plancher dans la même essence, une tablette en marbre guilloché, du velours, du cuir, des moulures en Corian (un matériau synthétique créé par DuPont, seule concession à la modernité). Pour expliquer l’ambiance indicible qui règne à bord, le designer se réfère aux appartements du Paris haussmannien… Les valeurs du Second Empire pour affronter le futur ; un boudoir au cœur d’un vaisseau spatial. Comme si l’on décorait le Soyouz de Thomas Pesquet à la façon de la salle d’attente du Chabanais.
Dans l’habitacle du concept EZ-Go, on piétine aussi sur un plancher en bois avec des lattes disposées en chevrons.
Du bois, il y en a aussi beaucoup dans la décoration intérieure du Fil Rouge, projet très réaliste de Hyundai. Même la Mercedes-AMG Vision Silver Arrow, machine extravagante, hyper-sportive, hors du temps, cède à la tentation du plancher en noyer et du fauteuil en cuir. Un monstre d’agressivité drapé dans le luxe ; Eminem en tutu…
Hyundai Fil Rouge.
Pour aménager l’habitacle du projet e-Legend, l’équipe de Gilles Vidal chez Peugeot ne s’est pas contentée de poser trois notes de bois sur sa partition. Elle a fait appel à un ébéniste, un vrai : Nicolas Hervet. Originaire du Perche, il a ouvert un atelier à Igé, dans l’Orne, pour créer des meubles très exclusifs. Il avait pour associé son cousin Cédric, ancien directeur artistique du groupe Daft Punk, aujourd’hui basé à Los Angeles. Pour e-Legend, Nicolas Hervet a imaginé des pièces sophistiquées comme ses boîtes à bijoux, précieuses comme ses caves à cigares. Elles sont réalisées en paldão, une essence aux somptueuses veinures importée des Philippines ; les placages sont traités en vernis mat, non ciré.
Peugeot e-Legend.
Si l’on remonte dans le temps, les exemples sont innombrables. Contentons nous de citer les designers qui ont revendiqué une démarche écologique dans l’usage du bois. En 2012, Pininfarina est allé chercher sa matière première au fond de la lagune vénitienne pour son prototype Cambiano. On y trouvait du chêne provenant des pieux des canaux vénitiens, patinés par des mollusques, les fameuses « briccole » où viennent s’arrimer les gondoles…
Chez Peugeot, on était allé plus loin : sur le concept car Onyx (en 2012 aussi), la planche de bord était réalisée en « Newspaper Wood » concocté à partir de papiers assemblés et compressés pour donner naissance à une texture inédite.
Pour plaquer sur la planche de bord de la fantastique et éphémère Karma, Henrik Fisker avait dessiné un motif taillé dans du bois de récupération, soit du noyer échappé des flammes qui ont ravagé des forêts de Californie en 2007, soit de l’acajou récupéré après les tempêtes californiennes, soit du chêne flotté, ramassé sur les eaux du lac Michigan.
Le bois reste omniprésent. Les designers ont beau militer pour remplacer le bois par l’aluminium, le titane ou le carbone, les essences dans leur inépuisable diversité conservent un irremplaçable pouvoir de séduction pour exprimer le statut.
Cela ne nous laisse pas de bois.
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