Chronique du confiné – Semaine 6 : où des autos empruntées peuvent effectuer de curieuses virées
Les constructeurs mettent à la disposition des journalistes spécialisés l’ensemble de leur gamme pour réaliser des essais ou des comparatifs. Cavernes d’Ali-Baba, vestiaires pour oublieux ou hangars perdus au bout du monde, ces parcs presse sont, ou ont été, à l’image des journalistes qui les ont utilisés : sérieux ou distraits, humains en somme.
Au bout de 38 jours de réclusion, le confiné commence à se projeter. Non pas dans des déplacements lointains, des essais à l’autre bout de l’Europe ou de la planète, car après un mois et demi sans voyager, l’ambition doit rester modeste. Il songe plus raisonnablement à ce petit enchaînement de virages, pas loin de chez lui et à ces quelques routes de campagne dont il connaît les moindres trajectoires. Ces petits riens, ces petits lacets d’évasion, il les arpenterait bien dans une des nouveautés du moment, ou même d’avant.
Ces autos petites et grandes, lourdes ou légères, magnifiques ou à la beauté tout intérieure, anémiques ou puissantes, le confiné sait qu’elles l’attendent là où elles se cachent : dans les parcs presse des constructeurs. Il les a écumés, comme tous ses collègues, pour essayer celles qu’il n’a pas pu aller tester à Barcelone, Lisbonne ou ailleurs, mais aussi pour les comparer à leurs rivales. Car tous les constructeurs et les importateurs disposent, au sein de leur siège, d’un tel parc, destiné à la presse et qui contient un ou plusieurs modèles de l’ensemble de leur gamme. On prend rendez-vous, on planifie, et la voiture est réservée pour un ou plusieurs jours. Mais au départ, ou à l’arrivée, les choses ne se passent pas toujours de la manière escomptée.
Quand on quitte un carrosse pour continuer en stop
Parfois, l’essai via parc presse peut rendre très humble, même lorsque l’on teste une Porsche 993 (la dernière des 911 pour les puristes). À une époque fort fort lointaine, le siège français de l’importateur de la marque allemande était installé dans une banlieue fort fort lointaine de la capitale.
Le confiné, qui ne l’était pas à ce moment-là, s’était trouvé un collègue pour l’emmener dans cette zone industrielle perdue ou il allait récupérer le bolide. Ce n’est évidemment pas peu fier qu’il s’en est reparti à son volant, jusqu’au lendemain ou il a fallu rendre le mythe roulant.
Comptant sur un taxi pour s’en retourner chez lui, il a vite déchanté. De taxi il n’en vint jamais. Quant aux transports en commun, ils ne desservaient la zone que matin et soir. Et il était midi. Il s’en est donc reparti en stop, ne racontant jamais au brave routier qui l’embarqua dans quelle monture il était parvenu jusque-là.
Prudent, il a donc décidé d’utiliser sa propre voiture lorsque quelque temps plus tard, dans la même fort lointaine banlieue, il s’est mis en tête d’essayer une jolie japonaise. Sa voiture du moment était malheureusement au bout de sa vie. La pauvre Fiat Tipo -l’originale et non celle d’aujourd’hui- était néanmoins arrivée au but. Mais après l’avoir garée près de l’atelier où l’attendait la nouveauté du jour, elle s’est éteinte dans un dernier soupir. Impossible de la faire redémarrer.
Sauf que l’atelier en question ne servait pas qu’à préparer les autos des journalistes. Il était aussi attribué aux préparations courses de l’importateur. Et justement, ce jour-là, plusieurs mécaniciens s’activaient autour de deux autos qui devaient participer au Dakar quelques mois plus tard. L’un d’eux voyait bien que le piteux tentait de démarrer sa Tipo et finit par se pencher sur son cas, en lui promettant qu’elle redémarrerait dès son retour.
Quelques jours plus tard, la nouvelle japonaise retrouvait ses propriétaires légitimes. Quant à l’ancienne Italienne, elle a non seulement redémarré au quart de tour, mais elle s’était transformée en avion de chasse. En tentant de se renseigner auprès des hommes de l’art à qui il l’avait confié, il apprit que ses 75ch initiaux avaient fait des petits pendant ces derniers jours. Il s’en est donc reparti au volant d’un dragster.
Un siège bébé oublié et tout est dépeuplé
Les hommes et les femmes gestionnaires de ces parcs presse sont non seulement conciliants avec les essayeurs en panne, mais leurs locaux servent également de vestiaires aux journalistes oublieux. Ainsi, le confiné se souvient-il du siège bébé qu’il utilisait pour transporter ses enfants et qui, immanquablement, se retrouvait arrimé à l’arrière des autos essayées. Sauf que tout aussi immanquablement, les sièges en question restaient souvent dans les voitures rendues. Au grand dam de l’essayeur et, surtout, de sa conjointe qui ne pouvait pas comprendre que l’on puisse oublier un instrument aussi vital. C’est donc plutôt penaud qu’il retournait récupérer son siège auprès du responsable du parc qui lui montrait son placard des objets trouvés dans les voitures. Il y a découvert, pêle-mêle, des téléphones, des ordinateurs, des valises, des vêtements, et même les courses de la semaine d’un journaliste à peu près aussi étourdi que lui.
Aujourd’hui, le siège bébé traîne au fond du garage et celui qui s’y asseyait est en passe de prendre place derrière le volant. Et si le confiné ne regrette pas spécialement l’hallucinante complexité qui consiste à fixer un siège dans une voiture, puis à attacher un bébé dans le siège en question, il se souvient avec nostalgie des remontrances familiales après l’avoir égaré, des virées en stop après avoir conduit un mythe et d’une Tipo dragster qui a fini par rendre définitivement l’âme après avoir multiplié ses chevaux. Car en temps de confinement, les mauvais souvenirs deviennent bons, surtout lorsqu’ils se sont déroulés dans un décor extérieur.
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