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Affaire du permis de conduire – Le ministère de l'Intérieur échappe au pire. Pour l'instant ?

Dans Economie / Politique / Finance

Stéphanie Fontaine

Les anciens responsables de l’agence publique qui s’occupe de délivrer les permis de conduire, poursuivis par la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), à la Cour des Comptes, sont condamnés à des peines d'amende allant de 500 à 1 500 euros, pour n'avoir pas respecté la loi en matière de finances publiques, a-t-on appris ce vendredi. Leur condamnation est une aubaine pour le ministère de l’Intérieur. En se prononçant ainsi, la CDBF évite de faire toute la lumière sur les dysfonctionnements et les pratiques hallucinantes repérés dans la gestion de marchés publics orchestrés par Beauvau. Le procureur de la République s’emparera-t-il du dossier ?

Affaire du permis de conduire – Le ministère de l'Intérieur échappe au pire. Pour l'instant ?

Les dates à retenir

- 2006 : une directive européenne impose de changer le format des permis de conduire. L’État français en profite pour lancer une grande réforme baptisée Faeton.

- 2010 : le projet Faeton est confié à l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), établissement public sous tutelle du ministère de l'Intérieur.

- 2011 : l'ANTS signe un contrat estimé à 32,7 millions d'euros avec l'entreprise Capgemini, chargée de développer Faeton.

- 2013 : les permis de conduire au format carte d’identité apparaissent, sans que Faeton ne soit opérationnel.

- Fin 2014 : la facture de Capgemini explose à 53,8 millions d’euros (+64,5 %). Faeton ne fonctionne toujours pas.

- 25 avril 2014 : le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, signale au Procureur général près la Cour des Comptes que des investigations "ont permis de mettre au jour des dysfonctionnements importants dans la gestion" à l'ANTS, en particulier sur le projet Faeton.

- 25 mars 2016 : les trois anciens responsables de l'ANTS comparaissent devant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), à la Cour des Comptes.

- 22 avril 2016 : la CDBF publie son délibéré. Les trois anciens responsables de l'ANTS sont condamnés à des peines d'amende de 500 à 1 500 euros. Faeton ne fonctionne toujours pas…

Un verdict pour sauver Beauvau ?

Circulez, y a rien à voir ! Didier Migaud, le premier président de la Cour des Comptes, vient très certainement de retirer une belle épine du pied au ministère de l’Intérieur, en condamnant les trois anciens responsables de l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) qu'il avait à juger, en tant que président cette fois de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), en charge de réprimer les infractions en matière de finances publiques. Des dysfonctionnements importants, voire carrément hallucinants, ont été en effet mis à jour dans la gestion de cet établissement public, placé sous la tutelle de Beauvau, et dont la mission est de s'occuper - comme son nom l'indique - des titres sécurisés : passeports, cartes d’identité, cartes grises, permis de conduire…

Certes, constate froidement un proche du dossier, les trois condamnés - Bertrand Maréchaux et Étienne Guépratte, directeurs de l'ANTS entre 2011 et 2015, ainsi que leur directeur adjoint, Cédric Siben - sont "incontestablement coupables d’irrégularités et d’anomalies" dans la conduite du marché public que l’ANTS a passé avec l’entreprise Capgemini pour la refonte du permis de conduire décidée en 2006. Mais il paraît clair aussi que "les condamner sans aller plus loin, c’est faire en sorte que l’affaire s’arrête là"… du moins à la Cour des Comptes.

À l'audience du 25 mars, le Procureur général a bien noté, comme le rappelle l'arrêt de la CDBF, publié ce vendredi matin, que "les responsabilités des trois personnes renvoyées devant la Cour étaient établies". Malgré tout, il n'a formulé aucune réquisition à leur encontre et réclamé un complément d'information pour tenter d'éclaircir "les zones d'ombre" apparues en cours de procédure et surtout à l'audience. C'est bien simple, Messieurs Maréchaux, Guépratte et Siben ont fini par ressembler à des boucs émissaires faciles. Des "lampistes", comme il se dit, qu'on fait passer pour responsables alors que la faute a été commise par d'autres.

Un verdict qui condamne les vrais responsables ?

Quels autres exactement ? C'est bien là tout le problème. Le complément d'information, réclamé par Gilles Johanet, devait justement servir à lever le voile sur les responsabilités de chacun au ministère de l'Intérieur dans ce fiasco que représente Faeton, le nom donné à l'énorme projet informatique amené à remplacer l'actuel Système national du permis de conduire (SNPC). Le nouveau système devait alors être capable de centraliser tous les dossiers liés au permis de conduire, de l'inscription en auto-école à la délivrance des titres, en passant par la gestion des points et donc des droits à conduire… Mais l'énorme projet n'a jamais été achevé, et Faeton ne fonctionne toujours pas. Des millions d'euros ont ainsi été dépensés en vain.

Rendez-vous compte : initialement le projet devait coûter 32,7 millions d'euros. C'était en tout cas l'estimation donnée au départ pour le contrat signé avec Capgemini. Mais, fin 2014, la facture s'est déjà envolée à 53,8 millions d'euros (+64,5 %), si l'on en croit les documents confidentiels récupérés par Caradisiac. C'est dire si les dérapages financiers ont été complètement incontrôlés dans cette affaire. Surtout pour une application informatique qui n'est toujours pas opérationnelle, et dont on ne sait même pas si elle pourra l'être un jour !

À noter tout de même que les trois condamnés étaient poursuivis pour bien moins que ça : les irrégularités ne portaient que sur une partie des bons de commande émis par l'administration, en l'occurrence 27 pour un montant total de 11 millions d'euros. Il n'empêche, à la lecture de l'arrêt de la CDBF, il ne fait aucun doute que les faits sont graves. On peut donc s'attendre à de lourdes sanctions… jusqu'à prendre connaissance du verdict final !

Un verdict sans conviction ?

Bertrand Maréchaux écope d'une amende de 1 500 euros, son successeur Étienne Guépratte en a pour 1 000 euros, et leur directeur adjoint, Cédric Siben, 500 euros. Tout ça pour ça ? Ne pas avoir respecté la loi, en particulier le code des marchés publics, dépenser des millions d'euros à tort et à travers, le moins que l'on puisse dire c'est que les hauts fonctionnaires s'en sortent plutôt bien.

Dans son arrêt, la CDBF reconnaît en effet que les trois bénéficient de "circonstances susceptibles d’atténuer [leur] responsabilité". La tutelle de l'ANTS, autrement dit le ministère de l'Intérieur, a "présenté de nombreuses faiblesses", à l'origine de "la majorité des déconvenues" de Faeton, admet la Cour. Mais pour connaître exactement qui est responsable de quoi, ce ne sera pas elle qui s'en chargera !

Interrogé il y a quelques jours, Bertrand Maréchaux doutait de toute façon que la Cour accepte le complément d'instruction réclamé par le Procureur général. Seul recours possible pour lui et les deux autres condamnés : se pourvoir en cassation devant le Conseil d'État. Le procureur général, Gilles Johanet, pourrait aussi utiliser cette voie. Ou bien envoyer directement le dossier au procureur de la République pour d'éventuelles poursuites pénales ? On devrait être très vite fixé.

Le rappel de l'affaire

- En 2006, une directive européenne impose de changer le format des permis de conduire au plus tard le 1er janvier 2013. Le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy entend profiter de l'occasion pour réformer tout le système national du permis de conduire (SNPC). Ce grand projet est baptisé Faeton. Il est confié tardivement, courant 2010, à l'Agence nationale des Titres sécurisés (ANTS), établissement public sous tutelle du ministère de l'Intérieur.

- En 2011, l'ANTS signe un contrat avec l'entreprise Capgemini, estimé à 32,7 millions d'euros sur quatre ans, pour développer cette énorme application informatique que représente Faeton.

- Le 19 janvier 2013, date butoir initiale pour la délivrance des nouveaux permis de conduire, Faeton n'est pas prêt. Les nouveaux permis au format carte de crédit apparaissent finalement à partir du 19 septembre 2013. Faeton n'est toujours pas opérationnel.

- Fin 2014, le coût du contrat de Capgemini a explosé. Selon les documents en notre possession, la note s'élève à 53,8 millions d’euros, en hausse de 64,5 % par rapport au coût initialement estimé. Le contrat s'est achevé à l'été 2015, sans que Faeton ne soit prêt.

- Entre la fin 2012 et le début 2014, trois enquêtes de l'Inspection générale de l'administration (IGA) sont consacrées à l'ANTS, dont deux sur Faeton. Caradisiac s'est procuré ces trois rapports classés confidentiels.

- Le 25 avril 2014, le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, signale au Procureur général près la Cour des Comptes que les investigations de l'IGA "ont permis de mettre au jour des dysfonctionnements importants dans la gestion de [l'ANTS] et sa conduite, en particulier, du projet Faeton." Seules les conclusions du dernier rapport IGA, axé sur Faeton et surtout sur la seule responsabilité de la direction de l'ANTS, sont évoquées. Quelques mois plus tôt, un premier rapport IGA sur les retards de Faeton avait pourtant révélé l'importante responsabilité de la tutelle de l'ANTS - autrement dit du ministère de l'Intérieur - dans ce fiasco.

- Le 25 mars 2016, comparaissent devant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), à la Cour des Comptes, Bertrand Maréchaux, directeur de l'ANTS entre 2011 et 2013, principal accusé dans cette affaire, son successeur Étienne Guépratte (de 2013 à la fin 2014), ainsi que leur directeur adjoint, Cédric Siben.

À l'audience, éclatent les soupçons de malversations entourant un autre marché public de l'ANTS, le marché dit "TES" pour "Titres électroniques sécurisés". Le premier contrat TES, un marché global, a été remporté en 2008 par le groupement composé de Morpho, filiale de Safran, et Atos. Lors de son renouvellement en 2012, sous la direction de Bertrand Maréchaux, le contrat est découpé en trois lots. Atos prend le lot 1, Thalès le lot 2 (le plus important), Bull le lot 3. Morpho n'en récupère aucun.

Pour tenter d'éclaircir les "zones d'ombre" de cette affaire, le Procureur général Gilles Johanet réclame un complément d'information.

- Le 22 avril 2016 : l'arrêt de la CDBF est rendu public. La Cour ne suit pas le Procureur général et refuse le complément d'instruction. Les préfets Bertrand Maréchaux et Étienne Guépratte sont respectivement condamnés à 1 500 et 1 000 euros d'amende, tandis que leur directeur adjoint à l'ANTS, Cédric Siben, écope d'une amende de 500 euros.

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