Routes à 80 km/h : la baisse de la limitation de vitesse entrera en vigueur le 1er juillet 2018
Florent Ferrière , mis à jour
Le Premier Ministre l'a enfin officialisé : la limitation de vitesse va passer de 90 à 80 km/h sur les départementales le 1er juillet 2018. Un bilan sera fait au bout de deux ans, avec la possibilité de remettre en cause la mesure si celle-ci n'a pas fait ses preuves.
Quelle mise en oeuvre ?
La date choisie est donc celle du 1er juillet 2018. 400.000 kilomètres de routes sont concernés. L'Etat parle de routes bidirectionnelles sans séparateur central et estime à 20.000 le nombre de panneaux à changer. Mais il compte doubler leur nombre pour "favoriser l'acceptabilité et l'adoption de la mesure". Cela aura forcément un coût, que certains estiment à six millions d'euros.
Lors de sa conférence, Edouard Philippe a annoncé que rendez-vous a été pris pour juillet 2020. Un bilan sera fait après deux ans de mise en oeuvre de la mesure. Si celle-ci n'a pas porté ses fruits, elle pourrait être remise en cause.
Le contexte : une hausse de la mortalité depuis 2014
C'est une situation inédite depuis les années 1970. La courbe de la mortalité routière est orientée est à la hausse depuis quatre années. En 2014, le nombre de décès a augmenté de 3,5 % par rapport à 2013. Puis il a progressé de 2,3 % en 2015, 0,5 % en 2016 et 0,9 % sur les onze premiers mois de 2017.
Emmanuel Macron avait annoncé la couleur en septembre 2017, déclarant lors d'une réunion avec les préfets : "Nos chiffres ne sont pas bons", ajoutant qu'il avait demandé "un nouveau plan", avec "des mesures très concrètes". C'est donc l'option des 80 km/h sur les départementales qui a été choisie, une décision choc que les gouvernements précédents avaient évité, car forcément très impopulaire.
Le fondement : une expérimentation aux résultats inconnus
En 2015, suite au rebond de la mortalité routière, un plan d'urgence a été dévoilé, avec 26 mesures. Parmi elles, la numéro 20 : "Observer, sur certains tronçons de route à double sens, identifiés comme particulièrement accidentogènes, l’impact d’une diminution de la vitesse maximale autorisée de 90 à 80 km/h". Conscient que la mesure ne peut plaire, le gouvernement de Manuel Valls, avec Bernard Cazeneuve au poste de ministre de l'Intérieur, décide donc de faire un petit pas vers la réduction de la limitation de vitesse, ne cédant pas aux sirènes des associations qui réclament une mise en place généralisée.
Deux ans et demi plus tard, c'est la grande incompréhension, car l'expérimentation n'a donné lieu à aucun bilan officiel. Un silence qui jette le doute sur les résultats et donc sur l'efficacité de la réduction, d'autant que les tronçons concernés (17 km de la RN7 dans la Drôme, 55 km de la RN151 entre la Nièvre et l'Yonne, et 13 km de la RN57 en Haute-Saône) ont bien souvent été remis en état et sécurisé, ce qui fausse forcément le test.
Les arguments : prêts depuis longtemps... et contestables
Ce sont nos confrères du Point qui ont dévoilé le projet de réduction de la limitation de vitesse, le 1er décembre. Dans les jours qui ont suivi, un document a fait surface : il s'agit d'un dossier envoyé aux préfets, bourré d'éléments de langage et d'arguments pour défendre la mesure, une preuve que celle-ci avait été validée il y a longtemps.
La Sécurité Routière rappelle dans ce document le contexte de hausse de la mortalité routière. Et bien évidemment, pointe une fois de plus la vitesse, indiquant que la vitesse (excessive ou inadaptée) est intervenue dans 32 % des accidents en 2016. Il n'en faudrait pas plus à l'Etat pour justifier une baisse des limitations !
Le dossier évoque quand même d'autres avantages. Mais problème : bien souvent, les arguments sont très exagérés. En témoigne la partie sur les freinages, que nous avons analysée en détail il y a quelques jours. La Sécurité Routière indique aussi une baisse des consommations et émissions, jusqu'à 30 % (!), et des pertes de temps négligeables (3 minutes sur un trajet de 40 kilomètres).
Pire, la Sécurité Routière ose évoquer la fameuse étude du chercheur Nilsson : "une variation de la vitesse de 1 % induit une variation du nombre d’accidents corporels de 2 % et une variation du nombre d’accidents mortels de 4 %", en écrivant bien dans son dossier que ces recherches datent des années 1980. En clair, elles ont plus de 30 ans... et ont depuis été largement remises en cause dans leur méthodologie.
Un Premier Ministre qui assume
Edouard Philippe a été le premier à officiellement commenter la mesure. Le 11 décembre, il déclarait y être favorable à titre personnel. Dimanche, dans une interview au JDD, il est allé plus loin, rappelant les mauvais chiffres et indiquant "chaque fois qu’un responsable politique a eu le courage de s’engager, les résultats ont été spectaculaires". Il sait qu'il sera critiqué mais veut sauver des vies "si pour sauver des vies il faut être impopulaire, j’accepte de l’être."
Curieusement, il semble bien seul pour l'instant à défendre le projet. Elisabeth Borne, la Ministre des Transports, visiblement très occupée à gérer les pannes à répétition de la SNCF, ne s'est jamais exprimée sur le sujet. Rien non plus du côté du président Macron, qui est d'ailleurs en Chine, et donc totalement déconnecté du Conseil Interministériel de Sécurité Routière de ce jour. Libération rappelle d'ailleurs qu'en tant que candidat à l'élection présidentielle, il s'était positionné contre une baisse généralisée à 80 km/h !
Des opposants qui ne semblent pas écoutés
Même s'il y a eu une expérimentation, entre la découverte du projet de généralisation et aujourd'hui, il s'est déroulé seulement cinq semaines. La mesure semble donc imposée à marche forcée aux Français, sans l'absence de débat contradictoire ou de consultation. Ceux-ci sont pourtant nécessaires dans la mesure où l'expérimentation qui devait faire passer le projet comme une lettre à la poste n'a pas été claire et ses résultats ne sont pas connus !
Les contradicteurs ont tenté de mettre en avant l'exemple danois, où une augmentation de 80 à 90 km/h de la limitation a permis de faire baisser la mortalité. Cela s'est cependant fait en lien avec une rénovation de la route. Et c'est sur ce sujet que les opposants sont les plus mobilisés : beaucoup, comme Damien Abad, vice-président des Républicains, jugent qu'il serait plus utile de remettre en état le réseau français, dont la dégradation a pu s'accélérer avec la baisse des dotations de l'Etat. Guillaume Peltier (Les Républicains) aimerait qu'une taxe soit ajoutée aux grandes sociétés d'autoroutes pour financer la rénovation des départementales.
Du côté du Front National, on veut lancer une pétition, comme l'a indiqué Sébastien Chenu, le porte-parole du parti, à l'AFP. Pour lui, "le gouvernement cherche à se donner bonne conscience par des mesures qui vont encore impacter les classes moyennes et la France qui vit au-delà du périphérique", ajoutant "l'Etat ne vous protège pas, il veut juste renflouer ses caisses en multipliant les PV".
L'Etat donne une énième fois l'impression de s'attaquer à la vitesse car c'est simple et finalement ça rapporte avec les radars automatiques. Et rien ne semble prévu pour l'alcool ou le contrôle médical des conducteurs. A moins que l'on soit agréablement surpris sur ces points en fin de journée.
Près de 6 Français sur 10 contre
Selon un sondage Harris Interactive réalisé pour RMC et Atlantico, 59 % des personnes interrogées sont contre la réduction de la limitation de vitesse. Cela semble presque être un score encourageant pour l'Etat, qui aurait pu s'attendre à un résultat plus élevé.
Preuve que le gouvernement va devoir beaucoup communiquer, 83 % des sondés pensent que l'objectif est d'accroître le montant total des contraventions ! 73 % affirment qu'ils respecteront la nouvelle limitation... mais 72 % pensent qu'elle ne sera pas respectée !
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