Reportage : Au volant de pick-up dans les Alpes – le plaisir de la démesure
Il y a un an, Caradisiac réalisait un comparatif géant afin de déterminer le meilleur pick-up du marché. Cette année, direction les Alpes pour prendre en main ces 4x4 à benne. Poids moyen des engins : deux tonnes. Ça transpire le bonhomme, mais le défi me plaît bien.
Après une bonne heure de route depuis Grenoble, quatre mastodontes nous attendent devant un des gigantesques chalets de l’Altiport. Entendons des chalets à 3 millions d’euros, dominant l’Alpe d’Huez, station alpine où les « Gold » remplacent les moutons. Le ton est donné pour jouer la carte de l’excentricité et de la démesure. Au programme : essayer sur route et en off-road un Ford Ranger Wildtrack, un Mitsubishi L200, un Toyota Hilux Invincible et un Volkswagen Amarok Aventura. Leur point commun : une double cabine et une boîte automatique, pour s’adresser non pas à des artisans mais aussi à des familles.
Pour rejoindre le lac de Chambon, une étendue de montagnes grandioses et vertigineuses défile à 1 900 mètres d’altitude. La route du Col de Sarenne est sinueuse. Et parsemée de nids-de-poule… Régulièrement érodée par les dures conditions climatiques, elle est fermée les ¾ du temps pour cause d’effondrement. À 60 km/h dans la L200, en conducteur, c’est un tape-cul. En passager arrière, c’est une essoreuse. Les paysages sont aussi secs que les amortisseurs de la Mitsubishi. À l’arrière, le plafond n’est qu’à 10 cm de ma tête et je compatis pour les personnes d’1,75 mètres qui attraperont assurément une scoliose carabinée. À force de sauter, la ceinture me broie le bassin et la poitrine. Impossible de lui donner du leste. J’ai le choix entre le bip insupportable de la ceinture non bouclée ou terminer asphyxiée. Par bonheur, sur l’asphalte non détérioré, la conduite est moins épique. Mais j’ai l’impression d’avoir des pédales chewing-gum et le passage des rapports (il n’y en a que 5 !) est houleux.
Changement de véhicule au lac de Chambon, dont les eaux bleues turquoise chatouillent des montagnes pelées. Un incendie s’est déclaré il y a quelques jours dans le tunnel reliant la Grave. Pas de route linéaire donc, il faut emprunter la route de secours, étroite et serpentine pour rejoindre le village. Nous prenons le Ranger. Qui aime le souffle du vent, les pépiements des oiseaux et le murmure des ruisseaux… passez votre chemin ! Là, ça sent le muscle, la testostérone, le hot dog et les Ray-ban qui glissent du nez sous la transpiration. Avec ses 200 chevaux et ses 5 cylindres, on joue aisément les cowboys, tout de même assistés de multiples aides à la conduite et d’un marchepied qui se déploie automatiquement, mais un peu lentement, à l’ouverture des portières. Exit les élongations de la cuisse lors de la descente… Sueur froide par contre sur la route quand un duel s’engage avec un camping car : avec une largeur de près d’1,86 mètres, il faut jouer du volant.
Une heure plus tard, et des auréoles sous les bras, me voici au volant de l’Amarok. Sa réputation pour être le meilleur sur route est-elle justifiée ? Avec son V6 et sa boîte automatique à 8 rapports, la conduite est agréable et souple sur l’asphalte pour rejoindre le charmant village de Besse-en-Oissans. On se sent comme dans un SUV un peu plus lourd et large. Et l’on ne joue pas à saute-moutons sur les dos d’âne. Dans les virages à épingle en revanche, pas évident de manœuvrer le pick-up le plus large (1,9 mètres) avec le rayon de braquage le moins bon (6,5). Gros bémol également pour le siège conducteur dont l’assise, trop longue, vient appuyer sous les mollets et gêne horriblement.
Dernier round avec l’Hilux. Je regrette immédiatement l’Amarok au passage des dos d’âne. Difficile aussi de traîner l’engin de 2,1 tonnes dans les montées. Le Japonais n’affiche qu’un 150 chevaux… Espérons que l’Invincible le soit un peu plus en off-road…
L’Hilux se rattrape indéniablement en tout-terrain ! Ce n’est certes pas un vrai Invincible (en comparaison du Ranger), mais il affronte vaillamment les épreuves. La neige est attendue dans trois jours, mais pour le moment, nous bénéficions d’un temps sec et ensoleillé.
Pour voir ce que ces pick-up ont dans le ventre, nous empruntons un chemin étroit et cabossé dans la sombre forêt des Gorges de Sarenne, nous testons une ascension musclée sur une pente de 37° parsemée de poussière de rocaille et de pierres pointues, puis nous traversons une route (ouverte pour l’occasion) sinuant au milieu d’éboulis, au cœur d’un paysage rougeoyant, entouré de ravins et de lacs cristallins. Altitude : 2 800 mètres. Atmosphère : martienne.
Les moteurs vrombissent, les avants piquent du nez dans les trous profonds, les arrières se soulèvent au passage d’un profond dévers. Un troupeau de moutons surgit. Obligés de s’arrêter et laisser passer… en pleine pente à 37° ! Pour descendre de la voiture, un mini escabeau ne serait pas de refus ! L’ascension reprend. Devant moi, l’Amarok patine. Les pneus s’emballent ; le moteur aussi. Le pick-up allemand démérite sacrément en off-road.
Impossible d’apercevoir les véhicules ni même le modelé du chemin. Le paysage se transforme en un épais nuage cotonneux. Une couche de poussière s’immisce dans l’habitacle recouvrant peu à peu le tableau de bord. Le dos est droit, les cervicales tirent, le corps se transforme en un pantin balancier. Une pensée pour l’énorme émission de CO2 que nous sommes en train de libérer pollue mon plaisir. Mais elle est vite éteinte en comparaison du bonheur à affronter des routes à périples et surtout à accéder à des lieux d’une splendeur inouïe.
Jusqu’à présent, les pick-up (retrouvez ici notre comparatif géant réalisé en 2017) étaient exemptés de malus écologique et de taxe sur les véhicules de société. Mais la semaine dernière, le gouvernement a voté la fin du cadeau fiscal pour les particuliers au 31 décembre. En 2017, la barre symbolique des 20 000 véhicules vendus a été franchie (contre 17 000 en 2016 et 14 000 en 2015). Sur les cinq dernières années, la croissance a été fulgurante : + 80 % ! Jamais autant de pick-up ne se sont écoulés en France. Mais 2019 marquera peut-être la fin de l’engouement pour ce véhicule à la douce saveur de plaisir coupable.
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