Les carburants synthétiques pour les riches, l'électrique pour les autres?
Les carburants synthétiques, promus par certains constructeurs haut de gamme avec le soutien de l'Allemagne et de l'Italie, posent un véritable problème politique aux autorités européennes.
C’est aujourd’hui 7 mars qu’aurait dû avoir lieu le vote final concernant l’interdiction des moteurs thermiques en Europe à l’horizon 2035, mais celui-ci a été reporté sine die, notamment en raison de la crainte d’une abstention de l’Allemagne qui aurait pu entraîner une remise en cause totale du processus.
Il faut dire que la perspective de la fin des moteurs thermiques en Europe en 2035 continue d’inquiéter nombre de constructeurs automobiles, et non des moindres. Ces dernières semaines, ce sont Porsche et Ferrari qui montent au créneau pour promouvoir les carburants synthétiques (ou e-fuels), lesquels leur permettraient de continuer de produire les puissants et chantants moteurs thermiques qui ont fait leur renommée.
Ils trouvent dans ce combat des relais politiques, à l’image de Christian Lindner, ministre de l’économie allemand, amateur de 911, lequel a tout récemment plaidé la cause de ces technologies auprès de la présidente de la commission européenne Ursula von der Leyen. D’après un récent sondage mené par Nordlight Research, près des trois quarts des Allemands restent d’ailleurs très attachés au bon vieux moteur à essence.
L’Allemagne, nation « automobile » s’il en est, se voit soutenue par l’Italie, tant au niveau politique qu’industriel. Là-bas, c’est notamment Ferrari qui fait entendre sa voix avec l’argument selon lequel le fait de perpétuer le moteur à combustion interne, alimenté donc par e-fuel, constitue un moyen de « réduire ses émissions tout en continuant d’utiliser les moteurs à combustion interne qui préservent son héritage. »
Carburant de (très) grand prix
Des arguments certes parfaitement audibles, mais qui butent encore sur un principe de réalité : la production des carburants synthétiques est aussi complexe qu’onéreuse, puisqu’il faut aujourd’hui compter environ 2 dollars par litre, somme à laquelle il faut ajouter les coûts liés à la distribution.
Même si Porsche dit viser à l’horizon 2027 une production annuelle de plusieurs centaines de millions de litre (contre 120 000 initialement annoncés pour 2022) dans l’usine d'e-fuel dans laquelle il est impliqué au Chili, même si la Formule 1 carburera à l’e-fuel en 2026, et même si Saudi Aramco prévoit une forte baisse du prix de ce carburant au fil des décennies, on imagine encore mal comment cette technologie pourrait se développer à très grande échelle.
Dans le meilleur des cas, elle serait réservée aux seuls clients d’onéreuses sportives, lesquelles représentent il est vrai un marché en pleine santé. Et c’est ainsi que quelques marques de luxe pourraient continuer de produire sereinement leurs somptueux bolides après 2035, tandis que les autres se concentreraient au 100% électrique. Pourquoi pas, après tout ?
Mais cette souplesse qui serait accordée à certains acteurs de l’industrie risque d’agacer tous les autres, qui engagent en ce moment même des milliards pour s’orienter vers le 100% électrique, tandis que commence tout juste à émerger une industrie européenne de la batterie.
Industrie à deux vitesses
D’où un malaise que résumait hier lundi l’ONG écolo Transport & Environment : « la menace actuelle du gouvernement allemand ne va pas dans le sens de la certitude de planification dont l'industrie européenne des batteries a besoin. Mais cela donnera l'avantage aux États-Unis et à la Chine, qui s'apprêtent à dépasser l'Europe avec des investissements massifs dans les voitures électriques et les batteries. »
Même son de cloche pour la cabinet français Mobileese, spécialiste de la mobilité électrique: «Nous voyons bien là les limites d’une politique ambitieuse par des petits arrangements locaux pour aider l’industrie nationale comme c’est le cas de l’industrie automobile allemande, italienne et dans une moindre mesure polonaise. Les carburants de synthèse sont tout aussi émetteurs à l’usage et nécessitent plus d’énergie à produire. Ce n’est pas la meilleure voie à prendre pour décarboner nos mobilités. »
« Je dirais que c’est presque pathétique », cingle enfin Thomas Ingenlath, le patron de la marque 100% électrique Polestar, cité par Bloomberg. « L’industrie et les politiques doivent donner un signal clair sur le chemin qui nous attend. »
En validant ces carburants synthétiques dont les vertus écologiques restent à démontrer, les autorités européennes brouilleraient donc le message écolo (lui aussi discutable, certes) qu’elles veulent soutenir dans la perspective de 2035. Bref, on ne sait plus très bien où on va, mais on y va plein pot!
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