DESIGN BY BELLU - Retour à Rétromobile... pour saluer un génie oublié, un être aussi talentueux que timide, un créateur ombrageux, caché, négligé, injustement ignoré...
Dans les allées de Rétromobile, au début du mois de février, on parlait beaucoup de la Carrozzeria Touring. À cause bien sur de la vente par Artcurial d’une Alfa Romeo 8C 2900B adjugée 16.745.600 euros ; mais aussi en raison d’une nuée de chefs-d’œuvre du même auteur visibles sur de nombreux stands. Gros plan sur un créateur oublié, Federico Formenti...
Pas sûr que tout le monde se souvienne de Touring chez des contemporains qui pensent que la musique déprimante a été inventée par Eddy de Preto. Sûr que Touring est moins populaire que Pininfarina ou Italdesign… Le carrossier milanais a vécu son heure de gloire à une époque que les moins de quarante ans n’ont pas connue puisque l’entreprise a cessé toute activité début 1967.
À Rétromobile, quelques chefs-d’œuvre de Touring sublimaient plusieurs stands et pas des moindres. La grande vedette de la vente aux enchères organisée par Artcurial était une Alfa Romeo 8C 2800 B carrossée par Touring en 1938 (la n° 412024). Il s’agissait de l’une des six berlinettes réalisées sur châssis long (sachant que Touring a également confectionné onze spiders, cinq sur châssis long et six sur un châssis raccourci).
Dans le milieu des collectionneurs qui manifeste de plus en plus sa préférence pour les youngtimers au détriment des grandes classiques d’avant-guerre (celle de 1939-1945), la performance est louable. Il existe encore des gilets dorés qui s’insurgent, résistent et manifestent leur réprobation contre l’emballement démesuré pour les BX et les Tagora en déboursant 16.745.600 € pour acquérir un vrai morceau d’histoire.
Certes une somme rondelette, mais aujourd’hui, cela peut générer une cagnotte.
En marge de Rétromobile, le 7 février, le Best of the Best Award était remis dans le cadre de la somptueuse adresse parisienne des hôtels Peninsula. Il s’agit d’un prix qui récompense la voiture de collection la plus extraordinaire de l’année, une perle choisie parmi celles qui ont décroché le trophée du « best of show » dans les plus prestigieux concours d’élégance du monde au cours de l’année passée. Une initiative que l’on doit à Christian Philippsen, personnage incontournable parmi les érudits de l’histoire de l’automobile.
En bon français, « Best of the Best » signifie « la crème de la crème » et sous les ors du Peninsula, c’est également l’une des six berlinettes Alfa Romeo 8C 2900 B (la n° 412020) jamais produites qui a été distinguée.
Pourquoi tant d’engouement pour ce joyau ? Bien sûr parce que l’objet est rarissime et hors de prix (les grosses sommes fascinent toujours les envieux). Mais aussi et surtout parce qu’il marque l’éveil de la créativité dans une Italie qui éclôt, à une époque où l’art de la carrosserie était dominé par les artisans français. Tracé en 1937, le profil de cette Alfa conjugue une retenue héritée de l’école classique, soignant l’élégance des proportions et la précision du trait, tout en insufflant une note de modernité par quelques touches discrètement aérodynamiques. Alors que le styling américain n’allait pas tarder à dégouliner sur toute l’industrie automobile, Touring précisa les contours de la latinité.
Touring se distingue aussi de ses contemporains par la technique : ses caisses sportives sont fabriquées selon le procédé « Superleggera » dont la conception repose sur un treillis de tubes fins sur lequel sont fixés les panneaux d’aluminium.
Pour les parcimonieux qui rechignent à investir dix-sept millions dans une voiture d’occasion, Rétromobile réservait quelques réalisations plus abordables et néanmoins signées Touring.
Pour annoncer l’exposition « Beauté pure » dédiée aux concept-cars (à partir du 29 novembre prochain), le Palais de Compiègne montrait la superbe et émouvante Lamborghini Flying Star II. Superbe par son style, merveille d’harmonie aux flancs lisses et aux lignes arc-boutées. Émouvante car elle fut l’ultime création de la Carrozzeria Touring contrainte de cesser son activité en 1967.
L’auteur de ce chef-d’œuvre est un certain Federico Formenti, un être aussi talentueux que timide, un créateur ombrageux, caché, négligé, injustement ignoré… Longtemps, les carrossiers italiens eurent la fâcheuse habitude de masquer l’identité des stylistes à qui ils devaient leur notoriété. Chez Bertone, Zagato ou Pininfarina, la coutume voulait que l’on mette en avant le nom de l’entreprise qui portait souvent le patronyme du patron. Même attitude chez Touring où Carlo Bianchi Anderloni, le patron, n’hésitait pas à contresigner les croquis réalisés par Federico Formenti, le sous-fifre !
Qu’on se le dise, la plupart des dirigeants avaient certes le mérite de débusquer des stylistes talentueux et les orienter, mais ils étaient eux-mêmes incapables de tenir un crayon.
C’était le cas de Felice Bianchi Anderloni qui embaucha Federico Formenti après la Libération. Styliste inspiré, projeteur scrupuleux et illustrateur brillant, Federico Formenti (1925-1995) mérite la reconnaissance de la postérité pour avoir été l’un des plus émérites créateurs de sa génération.
Il a tracé de nombreux chefs-d’œuvre : de la Ferrari 166 Millemiglia (1948) à la Lancia Flaminia GT (1960) en passant par l’Alfa Romeo 1900 Supersprint (1956) ou l’Aston Martin DB4 (1958), pour ne citer que des morceaux choisis que l’on pouvait admirer à Rétromobile.
Les constructeurs qui se sont adressés à Touring recherchaient l’élégance et la pureté, attendaient des lignes dépouillées, des formes simples, une ceinture de caisse rectiligne, des surfaces lissées. Federico Formenti n’a jamais eu recours aux effets faciles et aux décors pompeux.
Touring ne pouvait pas mourir. L’idée de ressusciter la Carrozzeria Touring ressemblait à un défi ; il a été relevé par Roland d’Ieteren, grand collectionneur, amateur éclairé de l’art de la carrosserie, héritier lui-même d’une respectable dynastie de carrossiers ancrée dans le XIXe siècle. Depuis sa résurrection en 2008, la Carrozzeria Touring restitue l’esprit de la carrosserie italienne traditionnelle qui pratiquait le « sur mesure ». Comme on pourra le découvrir dans quelques semaines au salon de Genève, avec une version décapotable de la Maserati Sciadipersia.
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