Alain Prost : quand le professeur entre à la Sorbonne
À l'occasion d'un colloque qui, chaque année, réunit d'éminents spécialistes dans les amphithéâtres de l'université parisienne, le quadruple champion du monde a livré ses réflexions devant un parterre d'étudiants et de fans. Souvenirs de piste, évolutions de la Formule 1, bascule de l'industrie vers le tout électrique : nous nous sommes glissés sur les bancs de l'amphi pour vous livrer quelques morceaux choisis.
Ils sont philosophes (André Comte-Sponville), académiciens (Marc Lambron) ou hommes politiques (Edouard Philippe), mais les conférenciers de la Cité de la Réussite sont rarement pilotes automobiles. C'est pourtant le plus célèbre des Français de la discipline qui a participé ce week-end au colloque organisé chaque année à la Sorbonne à Paris. Alain Prost a même clôturé la manifestation qui, durant deux jours, a réuni 200 personnalités dans la vénérable institution.
Une présence plutôt logique pour illustrer le thème retenu cette année : le temps. L'occasion pour le quadruple champion du monde d'évoquer les temps du chronomètre (ceux qu'il a pu réaliser), mais aussi le temps qui passe (celui de ses multiples carrières) et le temps à venir (celui du changement radical de l'industrie automobile).
"La vitesse ne m'a jamais fasciné"
Depuis sa chaire professorale, Alain Prost a égrainé quelques grands moments de sa vie en prenant soin de renverser systématiquement la table de l'évidence. La vitesse ? Elle n'a jamais suscité aucune fascination sur lui. "Je lui préfère la maîtrise". Le talent et un bon coup de volant ? "Tous les pilotes de F1 en ont, sinon ils ne seraient pas parvenus à ce niveau". Pour lui, la différence se joue ailleurs, et elle est beaucoup moins spectaculaire. "Il faut de la patience, du travail et du temps pour connaître tous les paramètres de sa voiture et être capable d'imposer à son équipe les réglages que l'on souhaite".
Mais ça, c'était avant, et le professeur, qui n'a jamais quitté les circuits, en convient. "Aujourd"hui, les réglages sont imposés par les ingénieurs à leurs pilotes. Le rapport s'est inversé". Jusqu'il y a 3 ans, il s'obligeait à essayer chaque année les nouvelles F1 et a pu en mesurer l'évolution, jusqu'à en être déstabilisé. "Lorsque l'on freine avec une auto traditionnelle, quelle qu'elle soit, l'avant plonge et l'arrière se soulève légèrement. La dernière Red Bull que j'ai conduite, c'est l'inverse : l'arrière descend à chaque freinage pour garder de la motricité." La F1 a inversé des lois de la physique.
"Les voitures de sport de série ne m'intéressent pas"
Pour autant, le prof du jour l'avoue : "aucune autre voiture ne pourra jamais donner les sensations d'une F1. Alors à quoi bon ? " Et il reconnaît que les voitures sportives ne l'intéressent pas, ou très peu. "Pas sur la route en tout cas, ou j'ai une conduite très apaisée". Un apaisement qui risque de tourner à l'agacement dans les prochains temps, à cause du basculement vers le tout électrique. Il le juge inaproprié. "Je ne suis absolument pas opposé à la voiture électrique, bien au contraire. En revanche, je m'insurge contre la mono technologie du tout électrique"
"On déroule un tapis rouge aux Chinois"
Quand il évoque cette problématique au cours de son cours magistral, le quadruple champion du monde prend un ton moins jovial. "C'est grotesque d'être aussi radical. L'électrique est parfait pour les grandes villes, mais l'imposer partout, et interdire totalement le thermique, est une manière de dérouler un tapis rouge à l'industrie chinoise et de démolir la nôtre". Et de raconter ses déconvenues avec le monde politique. "J'ai rédigé des rapports, rencontré des présidents de la République et des ministres. Personne n'a bougé. Des décisions sont prises, mais aucune réflexion n’a jamais été engagée".
Du bioéthanol à l'hybride en passant par les carburants de synthèse, pour lui, les solutions sont multiples et viables. Et de raconter que, lorsque des amis viennent le trouver pour lui demander quelle voiture ils doivent acheter, " la séance ressemble à une consultation médicale. ça dure une heure, et le diagnostic dépend de l'usage, de l'endroit où l'on vit et d'un tas d'autres critères."
Militant de l'apaisement entre les pour et les anti-électriques, Alain Prost entend bien faire se rencontrer ces deux mondes jusque sur les circuits. Et l'un de ses combats du moment consiste à déplacer les courses de formule électrique, une discipline dans laquelle il s'est engagé avant d'abandonner. "Il faudrait que les FE courent en ouverture des grands prix de F1, sur les mêmes circuits, mais en version raccourcie, ce qui est possible". Une manière, selon lui, de faire connaître la discipline à un public beaucoup plus vaste que ce qu'il est aujourd'hui. En attendant, l'ex-pilote aura, l'espace de deux heures, fait connaître sa vie, ses combats et ses analyses dans un lieu inattendu, mais devant un auditoire qui l'a parfaitement entendu et fort bien reçu.
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